Renée-Laure Zou alias Renata est autrice, illustratrice et éditrice. Elle est fondatrice des Editions du sucrier, une maison d’édition jeunesse créée en 2018. Cette femme de plume martiniquaise a publié un livre, Exocette, aux éditions Une Voix Une Histoire. Dans cette interview, elle plonge au cœur de sa création littéraire.
LDL : « Exocette » est un album multilingue qui raconte l’histoire d’une femelle poisson volant. Renata, pouvez-vous nous parler de ce projet et de ce qui vous a inspiré à le créer ?
Renata : Le personnage d’Exocette est inspiré d’un jeu que j’avais inventé pour mes jeunes élèves de maternelle, afin de leur apprendre à dénombrer. Adaptation pour la classe du jeu de cour « Le filet des pêcheurs », il s’agissait de lancer un dé puis de libérer le nombre de poissons volants (cartes) indiqué par ce dernier, les poissons étant prisonniers d’un filet. Les enfants m’ayant demandé pourquoi les poissons ne s’envolaient pas pour se libérer, nous en étions arrivés collectivement à émettre l’hypothèse qu’il leur manquait peut-être une aile. Plus de 10 ans après, une fois devenue éditrice, j’ai décidé d’écrire et de publier l’histoire d’Exocette.
LDL : Ce livre « Exocette », publié en audibook chez Une Voix Une Histoire est une publication partenariale avec plusieurs organisations, dont le Parc naturel marin de Martinique, l’Office français de la Biodiversité et le Comité Régional Handisport de Martinique. Comment ces partenariats ont-ils contribué à enrichir votre livre et à quel public est-il destiné ?
Renata : Le projet a été présenté aux partenaires alors qu’il était quasiment formalisé. Mais leur apport a été décisif pour lui donner de la légitimité et du poids auprès du public. En outre, ils ont participé au financement du projet. Le choix de la marraine a été fait en accord avec le Comité régional Handisport, qui a fourni des informations et des photos. Le Parc naturel marin et l’OFB ont validé les informations proposées sur la faune marine. Les partenaires apportent également au lecteur des informations importantes en fin d’album.
L’histoire d’Exocette, prévue pour les enfants à partir de 6 ans, séduit au bout du compte les petits dès l’âge de 3 ans et est également étudiée dans plusieurs collèges, dans différents champs disciplinaires : sciences, éducation à la citoyenneté, langues…
LDL : Le personnage d’Exocette est courageux malgré sa situation. Pouvez-vous nous en dire plus sur le message que vous souhaitez transmettre aux jeunes lecteurs à travers cette histoire ?
Renata : L’histoire d’Exocette met en valeur la biodiversité marine caribéenne, riche, fragile et malheureusement trop méconnue. Elle véhicule des messages en faveur du sens de l’effort et de l’acceptation de la différence. Elle attire l’attention sur des phénomènes naturels, liés au réchauffement climatique, que nous subissons dans la Caraïbe : prolifération des algues sargasses, raréfaction des ressources marines… Elle aborde des questions de nutrition, avec la prédatrice qui devient au bout du compte végétarienne… Les messages sont nombreux !
LDL : Vous abordez la problématique du handicap de manière humoristique et tendre dans votre livre. Comment avez-vous travaillé pour équilibrer ces éléments tout en éduquant les enfants sur la réalité du handicap ?
Renata : Ma sensibilité personnelle à la différence et au handicap a inspiré l’histoire de façon naturelle. Au moment où je l’ai finalisée, ma mère, du fait d’une maladie dégénérative, était devenue totalement dépendante. Sans doute ma connaissance des enfants et mon propre imaginaire ont-ils en outre contribué à équilibrer le récit.
LDL : Anne-Sophie Maximin, championne d’escrime en situation de handicap, est la marraine de l’ouvrage « Exocette. » Pouvez-vous nous parler de son rôle dans le livre et de l’importance de modèles positifs pour les enfants en situation de handicap ?
Renata : Je voulais une marraine pour mon personnage, de façon à faire prendre conscience aux lecteurs qu’au-delà de la fiction, le handicap concerne et impacte la vie de vraies personnes. Anne-Sophie avait été mon élève pendant ses deux premières années de scolarisation, en maternelle. Je savais quel malheur l’avait touchée par la suite. C’est une battante, elle a un fort caractère et c’est une championne : son parcours est exemplaire et renforce idéalement le message véhiculé par l’histoire d’Exocette. Les parents et les enfants qui découvrent le livre sont très sensibles à son témoignage. Parfois, ceux qui achètent l’album sont directement concernés par le handicap : ils sont très émus de cette mise en lumière.
LDL : En plus de l’histoire, votre livre contient des informations sur la biodiversité marine. Comment ces éléments éducatifs s’intègrent-ils à l’histoire et qu’apportent-ils aux lecteurs ?
Renata : Au cours de l’histoire, on découvre une trentaine d’animaux marins, dans leur environnement naturel. Les illustrations sont très esthétiques, vivantes, amusantes : elles étonnent les enfants, les font parler, s’interroger et réagir. Puis, le dictionnaire en fin d’ouvrage permet de nommer les animaux, en 4 langues. Cela peut donner lieu à des jeux, des challenges, à de la recherche : la démarche éducative est permanente et multiforme. Elle peut être adaptée à différents âges. Nous pensons qu’il est essentiel de connaître nos richesses pour bien les valoriser et les protéger. L’histoire, lue ou entendue, outre le plaisir qu’elle procure, est un excellent vecteur de connaissances.
LDL : Vous avez eu une carrière diversifiée, de professeur des écoles à représentante des éditions Hachette Education aux Antilles-Guyane. Comment cette expérience a-t-elle influencé votre écriture et votre passion pour la littérature jeunesse ?
Renata : Mes différentes expériences professionnelles enrichissent mon parcours actuel : je connais bien le public auquel je m’adresse, car je l’ai fréquenté de très près pendant de nombreuses années. J’ai beaucoup utilisé la littérature de jeunesse pendant mes années d’enseignement, car je lisais beaucoup d’histoires à mes très jeunes élèves et mettais toujours de nombreux livres à leur disposition. Mes fonctions dans l’édition m’ont par la suite familiarisée à ce domaine et m’ont permis d’engranger une expérience qui m’est très utile aujourd’hui. J’écris d’abord pour la jeunesse de chez moi, parce que notre environnement, notre culture et nos problématiques sont encore trop peu présents dans les publications auxquelles nos enfants ont accès. Et ils méritent d’être proposés également aux enfants venus d’autres horizons, car ils sont universels : dans la Caraïbe se trouve une grande part de la biodiversité mondiale, la Martinique étant pour sa part une réserve de biosphère. Nous avons beaucoup à porter au monde, en termes de connaissances, d’imaginaire et de savoir-faire.
Je précise également que mes recherches universitaires m’ont amenée à m’intéresser aux problématiques d’adaptation des programmes et contenus d’enseignement à l’environnement et à la culture. Avec le recul, je réalise que les différentes étapes de mon parcours intellectuel et professionnel s’articulent de façon plutôt logique et harmonieuse, même si je les ai vécues de façon instinctive, sans cette intention au départ.
LDL : Pouvez-vous nous parler de votre personnage Nikou, le petit manikou, et de ses aventures dans d’autres livres que vous avez créés ?
Renata : Le manikou est un animal caribéen que j’ai bien côtoyé dans mon enfance, car très présent alors dans mon environnement naturel familial. Il est aujourd’hui protégé, car très vulnérable, du fait de la réduction de son habitat naturel et de la circulation automobile. Je l’ai choisi pour attirer l’attention sur lui et contribuer à sa protection. Nikou est un médiateur d’apprentissages pour les enfants : de façon ludique, poétique, humoristique, il leur apprend à compter, à reconnaître les couleurs, les initie à la musique, à la culture… Il existe également sous forme de mascottes, qui proposent des animations, des vidéos… Mon but est d’en faire la mascotte préférée des petits (mais pour cela, il faudra qu’il passe à la télé !).
LDL : La version audiobook du livre Exocette est rendue possible grâce à Une Voix Une Histoire. Pourquoi avoir choisi de publier ce livre en version audio auprès de cette maison d’édition ? Comment cela contribue-t-il à enrichir l’expérience de lecture ?
Renata : Les versions audios avaient déjà été enregistrées lors de la publication de l’album, elles étaient alors vendues sur clé USB. J’étais donc déjà convaincue de l’intérêt de l’audio pour permettre un accès différent au livre : pour des lecteurs non ou mal-voyants, pour les plus jeunes, pour favoriser l’autonomie, pour un usage collectif (à l’école, par exemple) … Puis j’ai connu Une voix Une histoire et ai tout naturellement proposé à la maison d’édition de commercialiser les fichiers déjà existants.
LDL : Quel regard portez-vous sur ces nouveaux supports du livre et particulièrement sur le travail que réalise Une Voix Une Histoire pour la démocratisation des livres ?
Renata : Je suis très attachée au livre papier et à la lecture, essentiels selon moi à la construction intellectuelle des enfants. Cependant, l’audio peut ramener le public au livre. Il permet aux lecteurs éloignés de l’objet livre, pour différentes raisons, d’avoir tout de même accès à la connaissance et à l’imaginaire. Le travail d’Une voix Une histoire donne une visibilité exceptionnelle aux publications caribéennes : il permet de les faire voyager beaucoup plus facilement !
LDL : En 2018, vous avez fondé Les Editions du Sucrier, une maison d’édition jeunesse. Comment cette expérience a-t-elle façonné votre carrière et vos projets futurs ?
Renata : Il y a très peu de maisons d’édition en Martinique ; la chaîne du livre y est peu structurée et très peu professionnalisée. La maison d’édition me permet de contribuer à une meilleure structuration de cette chaîne, de proposer des projets différents, de permettre à des jeunes de se former à différents métiers, de dénicher de nouveaux talents, locaux ou internationaux. J’ai pu aider un jeune illustrateur martiniquais à se professionnaliser, à acquérir de la confiance et de l’expérience. Au fur et à mesure, le projet s’ouvre sur l’extérieur, vise d’autres marchés, envisage des collaborations… C’est un véritable enrichissement personnel et professionnel, que j’espère pouvoir continuer et élargir encore longtemps. Au-delà, j’espère que la maison d’édition sera suffisamment solide pour être transmise et reprise par des plus jeunes, quand aura sonné pour moi l’heure de la retraite.
LDL : Votre maison d’édition est devenue membre de l’Alliance internationale des Éditeurs indépendants. Comment cela renforce-t-il votre engagement en faveur de la littérature jeunesse ?
Renata : L’Alliance me permet d’échanger avec d’autres éditeurs jeunesse à travers le monde : je me sens moins isolée et c’est très enrichissant. L’Alliance favorise le partage d’expériences, propose des foires virtuelles aux projets, des sessions de formation… Les principes prônés par l’Alliance correspondent à mes convictions : militantisme en faveur de la bibliodiversité, refus de la surproduction effrénée organisée par les gros opérateurs du secteur… Les possibilités de co-éditions solidaires entre membres de l’Alliance peuvent faire voyager nos histoires au-delà de nos frontières, dans le respect des démarches et valeurs culturelles défendues par chaque éditeur.
LDL : Nous sommes à la fin de cette interview Renata avez-vous un mot pour conclure ?
Renata : Je suis très heureuse, en tant qu’autrice-illustratrice et éditrice, en tant que caribéenne, de participer à l’aventure entreprise par Une voix Une histoire. J’espère pouvoir bientôt proposer à la plateforme de nouveaux projets audios !
Merci !
Ecoutez le livre audio Exocette de Renata en cliquant ici Exocette audiobook