Interview avec Pauline ONGONO : Une voix, un réseau, une mission pour la littérature
Interview avec Pauline ONGONO : Une voix, un réseau, une mission pour la littérature

Interview avec Pauline ONGONO : Une voix, un réseau, une mission pour la littérature

Pauline Ongono occupe une place singulière dans le paysage littéraire francophone. Bibliothécaire, relectrice, coach littéraire, promotrice d’événements, présidente d’association et détentrice de plusieurs prix littéraires, elle est surtout l’une des voix les plus actives de la promotion du livre sur le continent africain. À travers des initiatives novatrices en ligne telles que la Semaine du Critique Littéraire Online (SECRILO), le Salon du Promoteur Littéraire Online (SAPLO) ou encore le Readers and Translators Week Online (RTWO), elle milite pour une littérature accessible, exigeante et vivante. Dans cet entretien, elle partage avec nous ses réflexions, ses combats, et les espoirs qu’elle nourrit pour le livre, au Cameroun et bien au-delà.

Sommaire

Parcours et polyvalence

LDL : Civilités madame Pauline ONGONO, vous êtes bibliothécaire, transcriptrice, scénariste, promotrice littéraire, coach en communication, relectrice… Pouvez-vous en dire un peu plus de vous à nos lecteurs ?


PO : Merci pour cette tribune que vous m’offrez. Je m’appelle Pauline M.N. ONGONO, je suis Camerounaise. J’ai choisi d’être bibliothécaire à l’âge de 11 ans et cette voie que le destin a su tracer, me permet d’être épanouie dans ma vie professionnelle. Je suis la présidente de l’association littéraire ACOLITT, basée au Cameroun avec des activités destinées au monde.

LDL : Dites-nous comment ces différentes casquettes s’articulent-elles dans votre quotidien ?


PO : Quand je travaillais en bibliothèque, j’avais l’impression que les auteurs des livres dans la bibliothèque criaient à l’aide. J’avais l’impression qu’ils étouffaient. Alors, j’ai commencé avec ce qu’on appelle communément promotion littéraire – même si je préfère l’appeler « communication littéraire ». Ensuite, j’ai tôt fait de me rendre compte que de plus en plus de livres paraissaient avec beaucoup de coquilles : je me suis formée en relecture. Une combinaison qui a matché avec mes compétences en langue française initiales. La transcription, j’ai commencé à la pratiquer en 2021, j’avais fait la rencontre d’une personne amputée des deux bras, qui tenait à écrire un livre. Alors, par ses audios, j’ai produit son texte. Parce que je ne me fatigue pas d’apprendre, je me suis formée à l’écriture de scénarios. L’avantage d’avoir plusieurs casquettes est bien celle d’être compétitive dans divers domaines ; avoir plusieurs sources de revenus (Rires).

LDL : Quel a été le déclic ou le moment fondateur qui vous a poussée à vous engager aussi intensément pour la cause du livre ?


PO : Sincèrement, je ne saurais vous le dire. Le livre m’a choisie dans l’enfance et il a continué de me mener où il veut que je sois. Chaque jour, pour moi, est un jour de déclic.

L’engagement en ligne : SECRILO, SAPLO, RTWO

LDL : Vous êtes l’instigatrice ou l’un des piliers de plusieurs événements littéraires exclusivement en ligne comme la Semaine du Critique Littéraire Online (SECRILO), le Salon du Promoteur Littéraire Online (SAPLO) ou encore la Readers and Translators Week Online (RTWO).

LDL : Comment sont nées ces initiatives ?


PO : Si vous observez la scène littéraire, vous ferez le constat que les acteurs concernés ici (critique littéraire, promoteur littéraire, relecteur, traducteur) sont peu ou pas du tout représentés sur la scène des festivals ou des salons. Les auteurs, les éditeurs… ont la part belle. Adepte de l’innovation dans ses activités, ACOLITT a souhaité apporter quelque chose de nouveau à la scène littéraire.

LDL : Quels objectifs poursuivent-elles, et quelles retombées concrètes observez-vous aujourd’hui ?


PO : ACOLITT souhaite, pour chaque édition, rassembler dans une même « case » non seulement les profils concernés par ces salons en ligne, mais aussi ces profils avec les autres maillons de la chaîne du livre. Car, comme un engrenage, si un maillon est défaillant, le reste de la chaine existera, mais pas de manière professionnelle. Nous sommes toujours admiratifs de l’engouement que ces événements suscitent ; et même de la curiosité, des partenariats qui se tissent et des échanges qui suscitent des vocations, l’apport des expériences et qui sont de véritables master classes.

LDL : Le format virtuel permet une participation internationale et inclusive. Quelles sont, selon vous, les forces et les limites de ce modèle ?


PO : Le volet online permet d’organiser des événements avec des personnes de divers continents, à moindre coût, avec le même apport en termes de potentiel et d’apprentissage. Il est vrai qu’un internet à haut débit n’est pas donné à tout le monde, mais on y arrive toujours.

LDL : Quel bilan faites-vous de l’édition 2025 de la SECRILO, cette rencontre ambitieuse qui a rassemblé 29 panélistes de 12 pays ?


PO : La SECRILO (Semaine du Critique Littéraire Online) qui s’est tenue du 21 au 26 avril 2025 sur notre page Facebook et notre chaîne YouTube, a permis de soulever des questions autour de la critique littéraire qui ne sont débattues généralement que tout bas. Les panelistes provenant de trois continents (Afrique, Europe, Amérique) et appartenant à divers maillons de la chaine du livre, nous avons pu dégager l’impact de la critique littéraire sur les mentalités, les besoins de lecture, comment aborder les livres, comment mener une critique… ACOLITT a été honorée par l’enthousiaste de professeurs d’université au Cameroun et d’autres pays, qui ont suivi les échanges et y ont dégagé un potentiel pouvant aider leurs étudiants.

Lecture active et accompagnement : les challenges 15 et 6 pages par jour

Vous avez lancé deux initiatives originales : le Challenge 15 pages par jour pour adultes et le Challenge 6 pages par jour pour enfants et adolescents.

Qu’est-ce qui vous a inspirée à créer ces programmes ?

PO : Très souvent contactée par des personnes (jeunes, adultes, parents) qui souhaitent avoir une certaine discipline de lecture, j’ai eu l’idée de créer ce challenge. Pour les adolescents et les adultes, il s’agissait de lire 15 pages par jour et de faire le résumé de leur lecture chaque soir à une heure précise ; et pour les plus petits, d’en lire 6, avec le même exercice dans l’après-midi, à une heure précise.

Quels retours avez-vous reçus des participants ?

PO : La lecture étant un exercice qui, comme tous les exercices, demandent volonté, concentration et discipline, ceux qui suivaient mes conseils (la majorité tout de même), aujourd’hui, ne lâche plus le livre. Ils lisent déjà à une fréquence plus élevée que la mienne (Rire).

Comment ces actions aident-elles à créer une relation plus intime et régulière avec le livre ?

PO : La notion de « challenge » a ceci de bien qu’elle touche l’ego ; mais le cas échéant, c’est une belle manière de toucher cet ego. Personne ne souhaite être celui qui n’a pas relevé le défi. Le rapprochement avec le livre est donc immuable.

Quelle place accordez-vous à l’adaptation du rythme et du genre littéraire aux préférences individuelles dans votre accompagnement des lecteurs débutants ?

PO : Chaque activité est posée selon les envies littéraires, les emplois de temps, les habitudes professionnelles ou académiques, les habitudes de sommeil même… D’où la notion de discipline dans ces challenges.

Construire une communauté littéraire bienveillante

Dans un écosystème parfois divisé, avec des rivalités visibles sur les réseaux sociaux, vous insistez sur la nécessité de travailler pour une cause commune.

Comment parvenez-vous à maintenir une posture constructive et fédératrice ?

PO : Comme je l’avais déjà dit dans une interview, ceux qui font la guerre n’ont encore rien compris. Il ne s’agit pas de s’aimer, mais de se respecter, de respecter le travail de l’autre et à défaut de promouvoir ses efforts, éviter d’être la cause de sa chute. C’est aussi simple que ça ! Ceux qui ont fait l’expérience de la communauté ont vu les retombées. Et pour moi, pour ACOLITT, c’est primordial. Et on n’avance qu’avec les acteurs de la chaîne qui souhaitent avancer sainement et s’investir en littérature.

Quels sont, selon vous, les piliers d’une communauté littéraire bienveillante et orientée vers le progrès, en particulier au Cameroun et en Afrique francophone ?

PO : La reconnaissance du mérite ; la bienveillance elle-même (ne pas nuire à autrui) ; la volonté d’apprendre ; l’investissement…

Quel rôle joue ACOLITT dans cette dynamique, notamment auprès des élèves, étudiants et jeunes auteurs ?

PO : Nous organisons auprès de ces divers publics un certain nombre d’événements en ligne et en présentiel, des échanges que nous dénommons Njokas littéraires, Ça day-livre ; des ateliers, Les Ateliers des Acolytes ; la mise en lumière avec les concepts BIOLITT, ReadMe, D-Livre, Le Truc de ce Dimanche et plein d’autres. Nous nous investissons à rapprocher les auteurs du public… Il se dégage une joie inexplicable à voir cette lumière dans les yeux d’un enfant qui se tient devant un auteur.

Médias sociaux et communication littéraire

Quelle place occupent les réseaux sociaux dans votre stratégie de communication littéraire ?

PO : Sur 10, je dirai 8.

Selon vous, comment les médias sociaux peuvent-ils servir non seulement la visibilité d’un auteur ou d’un livre, mais aussi une éducation critique à la littérature ?

PO : Le monde est désormais très petit avec les TIC. Un auteur peut facilement être connu dans différents pays rien qu’en communiquant depuis sa chambre. La preuve, vous êtes au Bénin et moi, au Cameroun. Toutefois, il faut savoir que communiquer rime avec image : les auteurs doivent savoir entretenir leur image sur les réseaux sociaux, savoir que tout n’est pas publiable. Il n’est pas rare de voir des personnes avec un fort potentiel laissées pour compte juste à cause de ce qu’elles publient. Bien sûr, il ne s’agit pas d’oublier de s’amuser, mais lorsque cet amusement va en droite ligne avec la ligne qui permet d’attiser respect et vente, c’est tout bénef’.

Pensez-vous que les auteurs et promoteurs du livre africains mesurent suffisamment l’importance de la communication dans le succès d’un ouvrage ou d’un projet ?

PO : En 2020, par exemple, c’était une bataille, à une certaine échelle. On ne dénombrait d’ailleurs pas autant de promoteurs du livre qu’aujourd’hui. À nos jours, l’importance est bien mesurée. Ce qui bloque très souvent, c’est la manière et l’habitude. Et c’est à ce niveau qu’ACOLITT intervient : accompagner ceux qui ne peuvent pas communiquer ou ne savent pas le faire. Et selon leurs budgets, leur disponibilité, leurs visions… nous les accompagnons. Bien sûr, le volet « online » occupe une belle place. L’information voyage loin.

Enjeux contemporains du livre en Afrique

À l’ère des technologies d’intelligence artificielle générative, quels nouveaux défis et opportunités voyez-vous pour :

  • la création littéraire ?

PO : Pourquoi aller vers une intelligence artificielle pour créer en littérature ? Si l’on n’est pas inspiré par sa muse, on laisse la place à ceux qui le sont. La littérature est un art. Peut-on se targuer d’être un artiste si on demande son avis à une IA ?

  • la traduction ?

PO : De nombreux outils, comme notre bon vieux Google Translate, opèrent des traductions. Mais n’oublions pas le volet naturel, le contexte… qu’exige la traduction. Par exemple : une IA traduira-t-elle l’expression camerounaise « Assia » qui signifie « patience » et qu’on dit à une personne pour compatir ? — et même, cette définition est en deçà de l’émotion que cette expression porte. Et il y a plein d’autres exemples… Je ne dis pas non à l’hypermodernisme dans ce sillage, je dis oui à la prise en compte du naturel. C’est pour cette raison que chez ACOLITT, les traductions se font à l’ancienne. Naturellement.

  • la relecture et la critique ?

PO : Mon avis est le même que pour la traduction.

La protection des droits d’auteurs reste une question cruciale. Comment pensez-vous que les acteurs du livre africains peuvent mieux s’armer juridiquement ?

PO : Au Cameroun, il y a un organisme qui s’en occupe. Dans d’autres pays aussi… Les auteurs devraient se rapprocher de ces services, pour être plus avisés. Il faut juste espérer que ces organismes fassent vraiment la part des choses.

Quels sont, selon vous, les grands enjeux actuels du livre en Afrique francophone (distribution, formation, accès, gouvernance, reconnaissance internationale…) ?

PO : La distribution du livre est le combat le plus rude, à mon avis. Commander un livre et se voir demander de payer des frais presqu’équivalant au prix du livre est décourageant. Il est vrai que des entreprises comme GVG, MADON, Cameroun Livres, Bookconekt, Griot, DnL et — la liste n’est pas exhaustive — font un travail magnifique dans ce sillage, mais ce n’est pas suffisant. Résultat, les auteurs se baladent avec leurs livres. Et les librairies… Il est nécessaire qu’elles se fassent former en communication ; ACOLITT et Agnès DEBIAGE sont d’ailleurs là, si elles sont intéressées. Et tout ceci dénote du manque de volonté, du manque de formation, de la gouvernance et, en tout état de cause, freine les reconnaissances internationales, car pour primer un livre à l’international, il faut qu’il arrive à l’international.

Enfin, si vous aviez un message à adresser aux jeunes acteurs du livre en Afrique — écrivains, éditeurs, bibliothécaires, critiques… — quel serait-il ?

PO : Lisez, entourez-vous de professionnels, ouvrez-vous à la communauté littéraire, soyez vrais et objectifs. Et surtout, normalisez le fait que le livre est un objet de business, et comme tout business, il demande soin (livre de qualité, qu’il soit édité ou auto édité), communication, bienveillance (nettoyage des rayons en bibliothèque, bon accueil, achat…), parce que lire des livres délivre.

Merci infiniment de m’avoir offert votre tribune.

Au terme de cet échange, une conviction s’impose : la littérature n’est pas un luxe ni une tour d’ivoire, mais un bien commun, un levier de développement personnel et collectif. Pauline Ongono nous rappelle que l’engagement pour le livre peut être à la fois exigeant et inclusif, rigoureux et profondément humain.

Plus qu’une promotrice du livre, Pauline Ongono est une bâtisseuse de ponts entre les lecteurs, les auteurs, les critiques et les territoires.

Propos recueillis par Akotchayé Gervais pour L’ivre Du Livre

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