Quand le silence se brise : chronique d’un coup d’État annoncé [extrait du roman Le Coup d’État de Trop de Frédéric Herman Tossoukpè]
Quand le silence se brise : chronique d’un coup d’État annoncé [extrait du roman Le Coup d’État de Trop de Frédéric Herman Tossoukpè]

Quand le silence se brise : chronique d’un coup d’État annoncé [extrait du roman Le Coup d’État de Trop de Frédéric Herman Tossoukpè]

Dans Le Coup d’État de Trop, publié aux Éditions Gaskou, Frédéric Herman Tossoukpè livre un récit dense et implacable sur l’engrenage des putschs militaires et leurs ravages silencieux. À travers une écriture sobre, tendue et profondément humaine, l’auteur décrit la prise de pouvoir d’un capitaine convaincu de sauver la nation, mais progressivement englouti par la peur, la violence et l’illusion de la force. Entre résignation populaire, dérives autoritaires et éveil collectif, ce texte explore la fragilité des institutions, la mémoire des peuples et le moment précis où la soumission bascule en révolte. Voici un extrait saisissant de ce roman politique et social.

La ville s’était réveillée avant l’aube, non par habitude, mais par instinct.

Quelque chose rôdait dans l’air, un malaise ancien qui revenait toujours quand l’histoire décidait de se répéter. Les rues étaient encore humides de la nuit, mais déjà les premières bottes martelaient le sol, lourdes, autoritaires, étrangères à la vie civile. Les chars avançaient lentement, presque respectueux, comme s’ils savaient que ce qu’ils écrasaient n’était pas seulement l’asphalte, mais la confiance d’un peuple.

Personne ne cria victoire.

Les fenêtres s’entrouvraient, les regards se croisaient sans un mot. On avait appris, au fil des décennies, que les coups d’État commencent toujours par des promesses et finissent par des cimetières. Les plus vieux hochaient la tête : ils avaient déjà vu ce film. Les plus jeunes cherchaient encore à comprendre pourquoi leur avenir se décidait une fois de plus sans eux.

À la radio nationale, une voix militaire, trop calme pour être honnête, annonça la suspension des institutions. Le mot était choisi avec soin, presque élégant. Suspendre, comme si l’on pouvait remettre plus tard ce qui venait d’être arraché. Mais chacun savait que, dans ce pays, les suspensions devenaient des absences définitives, et que les transitions n’étaient que des détours pour rester au pouvoir.

Le capitaine apparut à l’écran quelques heures plus tard.

Uniforme impeccable, regard dur, ton assuré. Il parlait de discipline, de refondation, de salut national. Il parlait surtout de lui-même, de son courage, de sa vision. Derrière lui, des hommes armés gardaient le silence, comme pour rappeler que l’argument ultime n’était plus la loi, mais la force. Ce jour-là, le peuple comprit que la démocratie venait d’être remplacée par un monologue.

Au début, certains voulurent y croire.

Ils se raccrochèrent aux promesses, à l’idée naïve qu’un homme fort pourrait réparer ce que des civils corrompus avaient détruit. Ils oublièrent que l’histoire avait déjà donné sa réponse : on ne construit jamais la justice avec des fusils. Très vite, les premières arrestations eurent lieu. Des journalistes. Des militants. Des voix trop libres. On parlait de sécurité nationale, mais on arrêtait surtout la vérité.

Dans les quartiers populaires, la peur devint une routine.

Les patrouilles nocturnes, les contrôles arbitraires, les portes défoncées à l’aube. Les mères dormaient à moitié, prêtes à se lever au moindre bruit. Les enfants apprenaient à se taire avant même d’apprendre à rêver. La misère, elle, ne fut jamais arrêtée. Elle continua de grandir, silencieuse, pendant que les discours officiels parlaient de stabilité.

Le capitaine gouvernait désormais seul.

Les conseils n’étaient que des façades. Les lois, des décrets signés dans l’urgence. Il croyait tenir le pays parce qu’il contrôlait l’armée, sans comprendre qu’un pays ne se gouverne pas contre son peuple. À mesure que le pouvoir se concentrait, l’homme se vidait. Les discours devenaient plus longs, plus agressifs. La peur, sentant qu’elle n’était plus crue, se faisait plus violente.

Puis quelque chose changea.

Pas brutalement. Pas officiellement. Une lente mutation. Dans les marchés, on murmurait. Dans les universités, on écrivait. Dans les églises, on priait autrement. Le peuple comprenait que le silence, autrefois stratégie de survie, était devenu une complicité involontaire. Et un peuple fatigué peut supporter beaucoup… jusqu’au jour où il n’a plus rien à perdre.

L’étincelle partit d’un quartier oublié.

Un enfant tué lors d’un contrôle. Une bavure de trop. Un mensonge officiel de trop. La colère déborda. Les rues se remplirent. Les slogans remplacèrent les murmures. Pour la première fois, depuis longtemps, la peur changea de camp. Les soldats hésitaient. Les ordres semblaient lourds à exécuter. L’armée découvrait ce que le capitaine refusait de voir : on ne tire pas éternellement sur son propre peuple sans se perdre soi-même.

Le régime tenta de répondre par la force.

Il parla d’ennemis de la nation. Il déploya les blindés. Il tira. Les morts tombèrent sans procès, sans noms, sans sépulture. Mais chaque corps allongé sur le bitume devenait un témoin. Chaque martyr nourrissait la détermination collective. Le peuple n’attendait plus des élections qu’on lui refusait : il exigeait la fin du mensonge.

Dans son bureau, le capitaine doutait pour la première fois.

L’homme fort découvrait la solitude du pouvoir illégitime. Les rapports se contredisaient. Les généraux hésitaient. Le regard des soldats n’était plus le même. Il avait pris le pouvoir par la force, mais il le perdait par l’absence d’amour. Et aucun régime ne survit longtemps à cela.

Quand il fut arrêté, il n’y eut ni cris de joie ni lynchage.

Seulement un silence lourd, presque triste. Le peuple regardait tomber un homme qui avait confondu autorité et légitimité, peur et respect. Ce n’était pas seulement la chute d’un capitaine. C’était celle d’un système qui croyait pouvoir gouverner éternellement contre la volonté populaire.

Ce jour-là, le pays n’était pas encore guéri.

Mais il respirait de nouveau. Et dans les ruines laissées par le coup d’État de trop, une certitude s’imposait : un peuple qui a retrouvé sa voix ne retourne jamais complètement au silence…

Informations pratiques sur le livre

  • 📘 Titre : Le Coup d’État de Trop
  • ✍️ Auteur : Frédéric Herman TOSSOUKPÈ
  • 🏷️ Préface : Ibrahima Diome, Poète et critique littéraire
  • 🏢 Éditeur : Les Éditions Gaskou
  • 📚 Format : Broché / Kindle
  • 💲 Prix : 15 €
  • 📖 ISBN : 978-2-487426-30-6

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