Fiston Loombe Iwoku (FLI) est un acteur littéraire congolais vivant en République Démocratique du Congo (RDC). Il est le responsable éditoriale du magazine littéraire la Plume Vivante.
LDL : M.Fiston Loombe Iwoku Nous sommes honorés de vous avoir ici pour discuter de votre rôle en tant qu’écrivain et acteur littéraire congolais, ainsi que de votre plateforme « La Plume Vivante ». Merci d’avoir accepté de répondre à nos questions.
Pouvez-vous nous parler de la genèse de la revue littéraire La Plume vivante ? Qu’est-ce qui vous a inspiré à créer cette plateforme et quel était votre objectif initial en la lançant ?
FLI : La question du devenir de la littérature congolaise était au centre de mes préoccupations. Quelle place tient-elle dans nos sociétés contemporaines ? Quel peut être son rôle dans le contexte actuel ? En quoi peut-elle constituer un espace de résistance et de subversion ? Quelle est la condition des écrivains aujourd’hui ? Et qu’en est-il de la réception et de la transmission, notamment auprès des jeunes générations ? La faible quantité des œuvres de littérature congolaise dans les librairies était inquiétante. Pourtant, les manuscrits traînaient en grand nombre dans les tiroirs, faisant preuve de la vitalité, de la créativité et de l’abondance. Le Congo Kinshasa n’avait pas de revue littéraire pendant trois décennies. Il était donc impératif d’offrir aux écrivains en herbe et aux auteurs qui ne sont pas connus au grand public, un espace de liberté qui soit en même temps une vitrine de promotion et de diffusion des cultures africaines vivantes.
LDL : La Plume vivante a joué un rôle significatif en stimulant la littérature congolaise d’expression française. Comment avez-vous réussi à surmonter les obstacles tels que l’analphabétisme récurrent et les difficultés financières pour atteindre le public visé ?
FLI : La revue littéraire La Plume vivante a eu le privilège, dès sa première parution, de travailler en étroite collaboration avec les professionnels de l’éducation. Ils ont facilité le rapprochement entre les lecteurs et la revue. Nous avons organisé plusieurs activités culturelles et réalisé des interviews dans les médias en vue de toucher le public visé. Les priorités financières de la République démocratique du Congo sont ailleurs. Le secteur du livre ne reçoit aucune subvention de la part de l’Etat. La survivance de ce secteur relève des efforts et des sacrifices personnels. Les trois premiers numéros de La Plume vivante ont bénéficié du soutien financier de certains acteurs du livre et des passionnés de la littérature dont j’ai mentionné les noms dans la note de remerciements du troisième numéro de La Plume vivante. Mais les difficultés d’ordre financier sont toujours là. Ce qui atteste du retard constaté dans la parution du quatrième numéro de cette revue, consacré à In Koli Jean Bofane et Jean-Blaise Bilombo Samba. Je suis toujours à la recherche d’un soutien financier pour assurer la survie de cette revue.
LDL : Vous avez mentionné que la littérature congolaise d’expression française traverse une période de léthargie. Comment la revue contribue-t-elle à revitaliser la scène littéraire au Congo Kinshasa ?
FLI : La léthargie à laquelle je faisais allusion dans mon éditorial du numéro deux de La Plume vivante, peint la réalité chaotique de la décennie précédente. Aujourd’hui, les initiatives privées tirent la littérature congolaise d’expression française de sa léthargie. Ces dix dernières années ont été marquées par une montée croissante de la conscience littéraire des plumes de tout âge, comme je l’ai mentionné dans mon article publié dans la prestigieuse revue littéraire « Lettres québécoise ». Nous assistons à une abondance considérable des œuvres littéraires sur le marché du livre en République démocratique du Congo et dans le monde. L’existence et la présence quasi vivante de La Plume vivante dans l’espace littéraire congolais a joué un rôle important voire catalyseur auprès de certains écrivains en herbe. La Plume vivante a créé un espace d’interconnexion entre les auteurs d’horizons différents. Bien qu’elle promeut la littérature congolaise mais elle est aussi une fenêtre ouverte à d’autres littératures. Elle publie en nombre les textes qui rendent vivante la conscientisation du rôle que peut jouer l’écrivain congolais ou africain dans l’émancipation collective des peuples pour le développement intégral de l’Afrique. Elle offre une vitrine aux défis qui sont alors à la portée de ces derniers : les pratiques de la démocratie, des libertés et des droits, la bonne gouvernance, la lutte contre les violences sexuelles, la crise d’identité et la crise de modèle, le développement ; etc.
LDL : L’un de vos éditoriaux mentionne que les textes publiés dans « La Plume vivante » abordent des thèmes allant de l’humour à la colère, en passant par la joie et l’amertume. Pourquoi avez-vous choisi de mettre cette diversité d’émotions et de sujets dans la revue ?
FLI : La fiction propose une « singularité ordinaire » comme le dit Jean Bessière. Les actes de langage feints ont exactement la même facture que les actes de langage de la vie ordinaire, et ce qui les distingue réside seulement dans l’intention du locuteur, pense Béatrice Bloch.
En effet, la critique Ngwarsungu Chiwengo nous révèle que la littérature congolaise est la conscience historique qui infléchit la conscience de l’histoire, un médium thérapeutique permettant aux lecteurs.trices de transcender le traumatisme national, en vue d’articuler le devenir. Le travail de prise de conscience en se servant de la littérature comme un instrument par excellence pour la diffusion des faits socio-culturels parmi les peuples du monde ; exige à cette vitrine de connaissance l’adoption d’une diversité d’émotions.
D’ailleurs, la ligne éditoriale de la Plume vivante consiste à faire découvrir au peuple du Sud, des textes qui peuvent l’aider à formater ou reformater son imaginaire. L’émotion ou la variété des sujets sont d’une grande importance pour cette revue. Je pense à l’instar de Béatrice Boch que la fiction est la doublure non séparée du réel. Donc, l’émotion a pour source une parole fictive, semblable à une « vraie » parole.
LDL : Les textes que vous publiez semblent refléter une image caricaturale de l’homme en communion avec l’humanité. Pouvez-vous nous expliquer comment cette perspective unique contribue à la compréhension de la société et de la réalité actuelles ?
FLI : J’image un monde où l’homme au travers de sa démarche d’amélioration personnelle participe à l’amélioration de l’humanité. Le feu de Prométhée que nous procure le savoir par le biais du travail acharné que nous réalisons à travers les recherches, les études et les réflexions sur diverses problématiques politiques, sociales et morales qui secouent notre univers, invite les auteurs qui contribuent à texte dans La Plume vivante d’essayer de répandre à leur tour la Lumière qu’ils ont reçue. La tâche que s’est assignée La Plume vivante ne consiste pas seulement dans la lutte contre l’ignorance, la superstition et l’erreur ; elle n’est pas faite de destruction, mais avant tout de construction, estime un ami. Un écrivain est un grand observateur de son temps, disait Bernard Werber. En paraphrasant Krisnamurti, je considère l’homme comme un Architecte chargé de devoirs nouveaux, ceux de rétablir d’abord l’ordre en lui-même s’il veut rétablir l’ordre dans le monde.
En effet, la cellule primaire du corps social, l’homme doit en premier lieu générer de façon harmonieuse pour un meilleur équilibre. Il est la mémoire collective de l’humanité. Il doit être capable par une pensée élargie, par une transformation de son état de conscience, de transformer l’humanité. La clé de l’avenir se trouve dans la possibilité de diriger sa conscience vers la lumière, c’est-à-dire l’intelligence dans le bien, renchérit un auteur inconnu.
L’image caricaturale de l’homme qu’offre La Plume vivante à ses lecteurs, est en phase avec la société et la réalité actuelles. Cette revue littéraire croit que l’amélioration de l’homme est donc indispensable à travers sa transformation et sa mutation profonde, avant de songer à l’amélioration de la société. Les différentes opinions exprimées dans ses numéros sont vivantes et concernent l’homme d’aujourd’hui.
LDL : Pouvez-vous partager avec nous votre processus de sélection des textes pour la revue ? Qu’est-ce qui rend un texte apte à figurer dans « La Plume vivante » ?
FLI : Les trois numéros de La Plume vivante n’ont pas de thème, contrairement à d’autres revues littéraires. Les textes publiés s’alignent à la ligne éditoriale de cette dernière. Le formatage ou reformatage de l’imaginaire de peuple du Sud demeure notre leitmotiv. Dans chaque numéro de cette revue littéraire, il y a un ou deux auteurs qui sont à l’honneur. Pour ce quatrième numéro, nous avons opté pour In Koli Jean Bofane et Jean-Blaise Bilombo Samba.
LDL : Au fil des numéros, comment avez-vous vu évoluer les écrivains et les contributeurs à « La Plume vivante » ? Quelles sont les tendances et les évolutions que vous avez observées dans leurs styles et leurs thèmes.
FLI : Cette revue littéraire a la chance de bénéficier d’une large contribution à textes, venant des auteurs d’horizon différents. Celle-ci promeut la littérature congolaise voire africaine, mais elle est aussi une fenêtre ouverte à d’autres littératures. Les chercheurs, les écrivains de renom acceptent volontiers notre requête. Ils nous envoient des textes dont la lumière nous aide à formater ou reformater notre imaginaire. Le comité de rédaction et moi sommes reconnaissant de leur soutien à ce projet. Ils réalisent bénévolement un travail formidable. Chacun de leurs textes a une valeur esthétique singulière et inestimable.
LDL : Pourriez-vous nous donner un aperçu de votre parcours en tant qu’écrivain ? Comment votre expérience personnelle a-t-elle influencé votre engagement pour la littérature et la création de « La Plume vivante » ?
FLI : Quand j’avais quinze ans, la littérature a représenté un refuge pour moi. Mon professeur de français nous incitait à lire et nous proposait de faire des exposés sur des romans. Un jour, je n’ai pas pu préparer ma leçon de latin et, comme le professeur était méchant, j’ai été obligé de fuir l’école. Au lieu de faire l’école buissonnière, je me suis abonné à la bibliothèque de l’Alliance franco-congolaise. Elle se trouve à Mbandaka, dans la province d’Équateur. C’est là que j’ai rencontré tous ces auteurs, Baudelaire, André Breton, Benjamin Fondane, Clémentine Faik Nzuji, Valentin Yves Mudimbe… Depuis, je ne fais que lire et écrire, mais mes textes ne sont pas diffusés à cause des urgences du quotidien. J’ai plusieurs manuscrits qui gisent dans le tiroir en attente d’être corsés et publiés.
Cette revue littéraire est née à une période où la littérature congolaise d’expression française était presqu’à genoux. La création de La Plume vivante fait partie d’une idée ancienne : promouvoir la littérature, aider les jeunes écrivains à faire connaître leurs œuvres et, surtout, faire connaître au peuple du Sud des textes qui peuvent l’aider à formater ou reformater leur imaginaire. La quête de l’altérité, la violence, le manque d’idéal, le rivage racial, la crise des modèles, m’ont poussé à créer un espace où régneraient des pensées nobles, capables de réinventer un nouvel imaginaire : les idées ne seraient plus inféodées à ces maux. Faire de cette prestigieuse revue littéraire un médium thérapeutique pour panser nos douleurs existentielles. Je l’ai conçu d’abord seul, puis je l’ai présenté à Gabriel Mwéné Okoundji, Jean-Paul Ilopi Bokanga et Harris Kasongo, qui ont été les premiers poètes à apporter leurs pierres à cet édifice.
LDL : En parcourant vos éditoriaux, il semble que « La Plume vivante » ait également abordé des sujets sociaux et politiques sensibles. Comment la revue traite-t-elle ces sujets tout en préservant sa voix littéraire unique ?
FLI : Le prix Nobel de littérature Annie Ernaux voit l’écriture comme un moyen d’atteindre la réalité en espérant ensuite que les livres fassent leur œuvre. Pour elle, la littérature n’a jamais été neutre. Pour Ngwarsungu CHIWENGO que j’ai toujours admiré ces travaux sur l’imaginaire, attentif à son milieu, l’écrivain d’urgence sociale n’est point un observateur neutre, mais bien un prosateur ou poète qui parle pour agir et qui nomme pour effectuer le changement. L’espace politique congolais est semé d’embûches. La liberté d’expression et d’opinion connaît un retard considérable dans l’effectivité de sa matérialisation. L’intellectuel colonisé qui veut faire œuvre authentique doit savoir que la vérité nationale c’est d’abord la réalité nationale. Il lui faut pousser jusqu’au lieu en ébullition où se préfigure le savoir. […] Il faut travailler, lutter à la même cadence que le peuple afin de préciser l’avenir, préparer le terrain où déjà se dressent des pousses vigoureuses ; disait Frantz Fanon.
L’engagement de La Plume vivante ne donne lieu à aucune entreprise militante. La revue garde sa voix littéraire. Elle accompagne les lecteurs à une autodétermination de son futur, tout en empêchant que les velléités politiques ne prennent le dessus sur les vérités.
LDL : Quels sont vos espoirs et vos projets futurs pour « La Plume vivante » ? Comment envisagez-vous que la revue continue d’avoir un impact sur la littérature congolaise et au-delà ?
FLI : Je vois l’avenir de cette revue littéraire non pas dans une perspective nationale, mais dans une perspective mondiale. Quel rôle va-t-elle jouer dans la littérature mondiale ? Peut-elle assurer sa survie en dehors des grands centres symboliques (pour les pays francophones) – Paris, Bruxelles, Montréal ?
Je travaille sur plusieurs stratégies éditoriales pour distribuer La Plume vivante dans ces centres prestigieux afin d’acquérir une légitimité internationale ou une consécration. Un travail se fera en parallèle de ce schéma pour promouvoir cette revue littéraire sur le plan local. Il est important de mentionner qu’une littérature n’est vivante que lorsqu’elle s’exporte et se diffuse.
L’absence d’une politique de circulation des biens culturels au Congo-Kinshasa et en Afrique constituent un obstacle majeur pour la promotion de ce support. A cela s’ajoute aussi l’absence de mécénat et de subvention pour les projets littéraires. A l’heure actuelle, cette revue littéraire traverse une crise sans précédent qui menace sa pérennité. L’appel d’aide lancé auprès des institutions culturelles et des particuliers est resté vain.
Nous espérons briller aussi de par notre présence aux foires et festivals du livre, aux centres culturels, aux ateliers créatifs et aux colloques internationaux. Les réseaux sociaux, le site internet de La Plume vivante nous permettent d’être connectés au monde. La revue compte briser les frontières et s’ouvrir aux échanges internationaux qui lui permettront d’étendre l’écho de sa voix.
LDL : Merci !
Un grand à vous Gervais pour cette magnifique entrevue. Je salue par la même occasion votre soutien à la littérature.
La préoccupation du gouvernement se focalisent plus sur d’autres secteurs de la vie nationale. Les Congolais aujourd’hui lisent moins, il faut booster dans leurs habitudes le goût de la lecture. La France aussi a beaucoup faibli par rapport à l’époque Birago Diop, Bernard Dadier, Ousmane Semben. Les instituts français parfois n’existent que de nom alors que la France menait un combat enchanté pour asseoir la francophonie, cette velléité joue sur nos écrivains d’aujourd’hui.
FLI est un jeune acteur littéraire très agissant, et très étonnant, surtout dans la quête de la promotion de littérature congolaise, qu’il saborde sans grand moyen mais avec une efficacité et une foi inébranlables. Soutenir le travail de ce grand activiste culturel est un grand bienfait pour l’écriture congolaise.