Dans une tribune lucide et argumentée, Dzou Mbarga (GRIMO) interroge les racines du mariage dit « traditionnel » et ses liens avec le patriarcat. À travers une relecture des récits fondateurs africains, il invite à dépasser les héritages coloniaux pour revisiter nos structures sociales à la lumière de nos propres traditions.

Pour aborder la question du mariage traditionnel et du patriarcat, il est important de rappeler que plusieurs des pratiques que nous considérons aujourd’hui comme « traditionnelles » sont en réalité des constructions hybrides. Elles sont à la croisée de nos héritages ancestraux et des apports, ou plutôt des impositions issues de la colonisation. C’est ainsi que des idées comme « l’aîné est toujours le chef » ou « la femme doit naturellement être soumise » sont souvent perçues comme traditionnelles, alors qu’elles relèvent parfois davantage de l’influence coloniale que de notre véritable pensée endogène.
Ceux qui sont proches des récits initiatiques, des mythes fondateurs, savent qu’il existe dans nos traditions une valorisation profonde de la femme. Dans la plupart des mythes africains, la femme est associée à la beauté, à la royauté, à la sagesse. Elle est reine, initiatrice, matrice de l’humanité. Prenons un exemple chez les Beti : le sage par excellence est désigné sous le nom de « Nia Morro », qui signifie littéralement « la Mère de l’humanité ». Ce titre est attribué à tout être homme ou femme, dont la sagesse et la parole prophétique nourrissent l’humanité. Il est fondamental de noter que cette sagesse primordiale est liée à la maternité symbolique, à la capacité de donner vie, au sens biologique comme spirituel.
Autrefois, dans plusieurs de nos sociétés, les enfants portaient le nom de leur mère. L’homme, bien qu’important dans la procréation, n’était pas le centre de la filiation. Il était parfois vu comme un simple géniteur, souvent polygame, tandis que la femme incarnait la stabilité, la lignée, la mémoire. Les terres, les savoirs, les héritages passaient par la lignée maternelle. On reconnaît encore aujourd’hui dans certains proverbes une prééminence des oncles maternels, preuve que la structure matrilinéaire était bien ancrée.
Lorsque les colons européens sont arrivés, ils ont été profondément perturbés de découvrir que, dans ces sociétés dites « primitives », la femme jouissait d’un respect, voire d’un pouvoir, qu’elle n’avait pas chez eux. En Europe, à cette époque, les femmes étaient reléguées au foyer, sans travail ni pouvoir de décision. Elles ne participaient ni aux affaires politiques ni aux décisions publiques. L’homme blanc, même face à sa femme, s’autorisait des comportements dominateurs. Cette image du mari-roi, autoritaire et possesseur, a été imposée à l’Afrique colonisée comme un nouveau modèle.
Les esclaves, les colonisés, témoins de ce théâtre quotidien de domination, ont fini par l’imiter. Petit à petit, les structures sociales africaines ont commencé à se calquer sur le modèle colonial : les enfants ont pris le nom du père, la femme a été réduite à la maternité et aux tâches domestiques, le rôle de l’homme a été sacralisé. La royauté, autrefois incarnée par un homme fort et disponible sexuellement pour plusieurs femmes (dans un contrat mutuel de satisfaction et de reconnaissance), s’est transformée en royauté autoritaire, où l’homme domine non plus par le don de soi, mais par le pouvoir et le contrôle.
Ainsi, le mariage dit « traditionnel » que nous pratiquons aujourd’hui n’est plus tout à fait celui de nos ancêtres. Il est souvent un mariage hybride, dans lequel la femme est soumise, parfois réduite à un simple rôle de procréatrice, tandis que l’homme devient le détenteur du nom, de l’autorité, du patrimoine. Ce modèle patriarcal, en réalité, est une construction moderne, façonnée par les siècles de colonisation et d’aliénation.
Alors, le mariage traditionnel perpétue-t-il le patriarcat ?
La réponse n’est pas tranchée, mais elle mérite d’être nuancée : ce n’est pas le mariage traditionnel en tant que tel qui est patriarcal, mais bien la déformation de ce mariage traditionnel par des influences historiques extérieures. Il est temps de revisiter nos traditions, de les réinterpréter à la lumière de notre propre histoire, de nos récits fondateurs, et non à travers les lunettes des systèmes dominants. Car dans nos traditions les plus profondes, la femme était reine, non par soumission, mais par puissance créatrice. 🙏🏿🙏🏿🙏🏿
Dzou Mbarga (GRIMO)
Vous aimez cet article ? Contribuez à notre mission en cliquant sur ce lien. Chaque geste compte 🙏