Et si un simple appel avait pu tout changer ? Un matin ordinaire devient le point de bascule d’un drame silencieux. Ignace, usé par la solitude, l’échec et l’indifférence, appelle une dernière fois son ami Alex avant de commettre l’irréparable.
Ce récit intime et bouleversant nous plonge au cœur d’un cri resté sans réponse, d’un combat mental invisible, d’une amitié sincère mais impuissante. Une histoire vraie, un hommage vibrant, un rappel urgent : parfois, une oreille attentive peut sauver une vie.
Par Dieudonné Kayossi Kodukpè Abilé

Ce matin-là, alors que le coq du voisin s’apprêtait à faire entendre ses cris, mon téléphone portable retentit, je me réveillai en sursaut. Ma main glissa tout le long de la tête du lit en cherchant ce dernier. Lorsque je l’attrapai, je braquai mes yeux encore embués du sommeil sur l’écran.
— Qui ose m’appeler à cette heure ? me demandai-je.
Je glissai l’icône verte et au bout du fil retentit une voix familière, cette voix, je l’avais reconnue, c’était la voix de mon ami, Ignace.
— Je suis fatigué de cette vie Alex, se lamenta-t-il.
— Qu’as-tu Ignace ?
— J’en peux plus, je pense à mettre fin à mes jours.
Pensant que c’était l’une de ses blagues, je lui jetai des blagues à l’oreille, le traitant de tous les noms, le traitant d’homme faible. Il ne pipa mot et raccrocha. Je déposai mon téléphone portable à mes côtés, m’étirai et continuai mon sommeil.
— Ignace est bien capable de me faire une telle blague, avais-je conclu avant de me replonger dans mon sommeil.
À huit heures trente, mon téléphone portable retentit à nouveau, mais cette fois-ci, c’était pas un appel mais l’alarme. Je me levai, récitai quelques prières et m’assis sur le lit. M’emparant du téléphone portable, je me connectai sur les réseaux sociaux. Soudain, je vis la photo d’Ignace sur le profil de l’un de ses amis avec le mot magique « RIP, pourquoi si tôt ! ».
Je bondis du lit, essayai de joindre Ignace, convaincu que c’était toujours une blague mais, son numéro était hors zone. J’ouvris ma messagerie WhatsApp pour voir si le groupe des étudiants avait annoncé son décès et c’était là que je vis le message de mon ami.
« Cher Alex,
Quand tu liras ce message, je ne serai plus de ce monde. Cette nuit, j’ai tellement pensé à ma vie, à nos projets, à ce qu’on s’était dit mais je ne me voyais plus continuer. J’ai passé toute la nuit à penser à ma vie. À cinq heures, je me suis levé avec une idée derrière la tête : me suicider, finir avec cette misère, partir et ne plus laisser de trace.
Que vais-je faire ? Je n’avais pas d’issue. Tu te rappelles de ce qu’on s’était dit n’est-ce pas ? De mon projet de pisciculture, je t’en avais parlé, de comment j’ai été dépouillé par un jeune monsieur qui m’avait menti. J’ai essayé de contacter des connaissances mais ils m’ont tourné le dos. Tu as été le seul et unique qui m’ait soutenu quand j’avais plus d’issue, et tu as toujours été là pour moi.
Tu es le frère que j’aurais aimé avoir, même si nous ne sommes pas du même sang, tu l’es et tu le seras toujours. Je t’ai appelé ce matin dans le but de te confesser ce qui m’arrivait, tu n’étais pas le seul que j’ai appelé. J’ai contacté six de mes amis ainsi que celle que j’appelle ma copine, mais mes appels ont été rejetés à chaque fois. Peut-être qu’ils ont cru que je voulais mendier de l’argent ou leur demander de l’aide. Mais toi, tu as décroché quand je t’ai appelé. Toujours présent pour moi.
C’est vrai, je t’ai toujours parlé du suicide et tu as su trouver les mots pour m’en empêcher. Parfois, tu venais passer la nuit à mes côtés pour te rassurer que j’allais bien. Mais, pour ce matin, c’était pas une blague. Je ne contrôlais plus rien, la pression était là, la frustration était là, la peur me dominait et il y avait cette voix qui me donnait le courage de poursuivre ma mission : me suicider.
J’ai trouvé une corde dans mes affaires, je pense que je vais me tuer avec ça. Tes blagues de ce matin m’ont donné le sourire même si je n’ai pas pu placer un mot avant de raccrocher, et c’est le tout dernier sourire que j’afficherai avant mon départ de cette vie qui m’a montré que je n’étais pas un humain destiné à y vivre.
Merci pour tout mon cher ami, ne t’en veux pas, tu m’as accordé quelques instants pour discuter avec toi, mon frère. Ainsi s’achèvera mon destin. Ne pleure pas et dis-leur de ne pas poster ma photo ni d’éprouver de la compassion pour moi quand je partirai de ce monde. Quand j’avais besoin d’eux, ils n’étaient pas là. À ma copine, dis-lui de ne pas songer à me pleurer. À ma mère, mes sœurs et frères, dis-leur que je les aime beaucoup et qu’ils me pardonnent. Je leur ai toujours menti sur ma santé mentale.
À toi, mon frère, puisse Dieu te garder et te protéger.
À Dieu mon frère. »
Mon portable glissa de mes mains et tomba sur le lit, mes deux jambes me trahirent et je m’écroulai au sol.
— Pourquoi ? Qu’ai-je fait ? Quel sommeil ? Quel sommeil ? Ah ! Mon cher ami, j’aurais dû t’écouter, j’aurais dû me dépêcher. Moi qui te taquinais, moi qui pensais que tu blaguais, moi qui pensais que c’était encore un de tes tours, te voilà mort. Tu t’es suicidé. Je ne me pardonnerai jamais mon frère !
Les larmes coulèrent de mes yeux. Les mains tremblantes, je saisis mon téléphone portable, réunis toutes mes forces et me connectai sur les réseaux. Je n’arrivais pas à y croire, la photo d’Ignace faisait la une des réseaux avec des légendes : « Un frère gentil, pourquoi si tôt », « Tu aurais dû nous en parler si tu n’allais pas bien ».
J’éteignis ma discussion et entrai dans la galerie, je défilai toutes les photos jusqu’à tomber sur une qui me laissa bouche bée. C’était Ignace et moi, le jour de son dernier anniversaire. Qui l’aurait cru que c’était le dernier. Où que tu sois mon frère, repose en paix ! J’ose croire que tu auras la paix du cœur et que tu me pardonneras.
À Dieu, mon cher ami !
Vous aimez cette histoire ?
Bonjour
Je vous félicite et je vous souhaite beaucoup de courage.