Interview avec Judes Duranty, l’auteur de l’audiobook « Sansann » chez Une Voix Une Histoire    
Interview avec Judes Duranty, l’auteur de l’audiobook « Sansann » chez Une Voix Une Histoire    

Interview avec Judes Duranty, l’auteur de l’audiobook « Sansann » chez Une Voix Une Histoire    

Jude DURANTY (JD), est un écrivain martiniquais qui écrit autant en français qu’en créole. Sansann l’un de ses ouvrages créoles a été édité par la maison d’édition de livres audios une voix une histoire. Dans cette interview, le prolifique écrivain, chroniqueur et choriste nous emmène au cœur de sa création et plus spécifiquement de son attachement au créole.  

Interview avec Judes Duranty, l'auteur de l’audiobook "Sansann" chez Une Voix Une Histoire    

LDL : Alexandre, le personnage principal du livre Sansann, que les gens créoles nomment Sansann, semble incarner la résistance à l’usage généralisé du français dans la société créole. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce personnage et ce qu’il représente pour vous en tant qu’auteur ?  

JD : Pour moi ce personnage représente beaucoup. En ma qualité d’auteur, Sansann est le prototype du martiniquais que l’Education Nationale n’a pas réussi à lui faire perdre sa langue première.

Né dans les années 1920, il était fondamentalement un unilingue créolophone dans sa culture. Sansann est celui qui m’a fait comprendre, à postériori, l’importance d’apprendre d’autres langues tout en chérissant la sienne.

Le créole était méprisé, il m’a fait comprendre que le locuteur unilingue n’est pas pour autant un sot, mais un être doué d’une grande intelligence. Le proverbe créole dit bien « Palé fransé pa vé di savan » autrement dit ce n’est pas parce que vous parlez le français que vous êtes intelligent.

Il y a sans aucun doute beaucoup de choses dont tu ignores l’existence et un autre proverbe dit bien « Sa ou pa sav gran pasé’y » autrement dit ce que tu ignores te précède.

Une photo de mon père illustre la couverture, il est de cette génération unilingue qui a plus d’un siècle et qui se raréfie. Ce type de personnage recèle une grande richesse et à leurs manières ce sont des résistants. 

Interview avec Judes Duranty, l'auteur de l’audiobook "Sansann" chez Une Voix Une Histoire    

LDL : L’utilisation du créole est un thème central du livre « Sansann », cette belle langue créole doit-elle indéfiniment se tenir sur un « ti-ban » ? Quand sera-t-elle une langue comme toutes les autres ayant sa place, elle aussi, dans le beau fauteuil linguistique pour prendre langue avec les hommes du monde ?  

JD : En effet, cette fabuleuse langue qui a été défendue par des militants, des universitaires linguistes dans les années 1970 avec le GÉREC (Groupe d’Etude et de Recherche en Espace Créolophone) a toujours besoin d’être défendu. Ceux-là ont démontré que le créole n’était pas un simple patois mais une véritable langue. Cette reconnaissance doit amener le martiniquais à une plus grande fierté et à rejeter définitivement l’injonction du passé, lui interdisant de parler créole. Nous pouvons parler d’autres langues sans nous interdire de parler notre langue maternelle. Comme dit si bien le créoliste et militant Daniel Boukman « Tout lang sé lang » autrement dit toutes les langues sont légitimes.

LDL : Vous avez certainement dans votre entourage un Sansann qui pratique un créole qui n’est pas devenu tjòlòlò « contaminé » par le Français et qui n’est donc pas « poto pouri » décroisé. Mais sont-ils encore nombreux aujourd’hui ? 

JD : Comme je disais tantôt dans mon environnement, les Sansann ont tendance à disparaître et nous vivons un phénomène de décréolisation. Le lexique s’appauvrit et dans nos conversations en créole, nous utilisons des mots français à la place des mots créoles. C’est d’ailleurs dans ce sens que j’ai collecté et publié un lexique des mots créoles peu usité intitulés Mo mawot. Lorsque le fil du cerf-volant se rompait, on disait en créole : i mawot. Il s’en allait. Eh bien aujourd’hui encore beaucoup de mots créoles « s’en vont » parce qu’ils ne sont plus utilisés. Les mots sont un peu comme les personnes si nous ne les utilisons pas nous leur signifions leur inutilité. Alors que toute personne est utile : Tout moun sé moun ! 

LDL : « Sansann » est décrit comme un « rakontaj ». Pouvez-vous expliquer ce que cela signifie pour vous et comment cela se différencie-t-il d’un roman traditionnel ? 

JD : Le roman traditionnel est typé avec dans l’intrigue, une situation initiale, des péripéties et une situation finale. Dans le rakontaj, c’est justement une autre manière de raconter même si cela reste une fiction. A l’instar du lodyans haïtien, je pense que nous devons trouver notre propre manière de raconter. Le rakontaj est une fiction mais ce n’est ni un conte traditionnel ni un roman. L’écrivain, (le matjè) doit trouver son propre souffle et son propre style. C’est pour cela que, comme mon ami Max Rippon, j’ai proposé le rakontaj qui est aussi une manière créole d’écrit. 

Interview avec Judes Duranty, l'auteur de l’audiobook "Sansann" chez Une Voix Une Histoire    

LDL : L’édition au format écrit du livre semble être un véritable parcours de combattants. Avez-vous vécu des situations similaires pour celle audio ?  

JD : En effet, l’édition de livre en créole est un vrai parcours de combattant. Pour illustrer cela je vous dirai que mon premier livre créole a été publié en français. J’ai proposé mon manuscrit à un éditeur qui a sollicité une traduction en français. Lorsque j’ai traduit mon livre « Zouki bel zouti » je pensais qu’il publierait un bilingue comme il l’avait fait auparavant ; Eh bien non, il a gardé le texte français qui donc sorti en 2005 sous le titre « Zoudi d’ici danse ». Soit dit en passant c’est le seul roman à jour sur le Zouk.  Heureusement que la microédition existe, c’est ainsi que j’ai pu publier « Zouki bel zouti » en 2011 avec TheBookEdition.  

LDL : La langue créole a souvent été reléguée à un statut subalterne par rapport au français. Pensez-vous que cela change progressivement, et comment la version audio du livre « Sansann » peut-il contribuer à cette évolution ? 

JD : En effet, la langue créole a souvent été reléguée à un statut subalterne parce que beaucoup de martiniquais sont analphabètes en créole. Le créole n’étant pas enseigné comme le français. Beaucoup de locuteurs parlent la langue mais n’ont pas appris à le lire et à l’écrire à l’école. Tant que cette langue ne sera pas enseignée de manière obligatoire comme le français elle aura toujours ce statut de langue sans valeur. Il y a beaucoup de chemin à faire et en qualité de militant culturel et écrivain, j’y contribue à mon humble niveau. Je crois vraiment que progressivement cela change et justement comme le lectorat est faible, le livre audio est de nature à permettre l’accession à cette littérature. Il peut contribuer à faire évoluer les mentalités. 

LDL : Votre livre audio « Sansann » chez Une Voix Une Histoire a-t-il été bien reçu par le public créole ? Quels retours avez-vous reçus de la part de ceux qui ont écouté l’histoire ? 

JD : Je crois que l’éditrice d’Une Voix Une Histoire est mieux à même d’y répondre, mais les retours sont encourageants. Je suis très satisfait de la présence de Sansann sur cette plateforme. Cela m’a permis de rencontrer des lecteurs en Côte d’ivoire en mai 2023. Comme quoi le créole peut faire voyager et susciter des rencontres hors des frontières. 

LDL : En tant qu’auteur martiniquais, vous avez une perspective unique sur la langue et la culture créole. Comment voyez-vous l’avenir de cette culture et de cette langue dans un monde de plus en plus mondialisé ? Comment pensez-vous qu’une plateforme comme Une Voix Une Histoire participe à la réalisation d’un tel rêve ?

JD : En ma qualité d’auteur martiniquais je me fais un devoir de prendre la dimension des deux langues du pays. Cette posture militante et artistique me permet de fournir des textes en créole par la création et la traduction. Ce qui permettra je l’espère que les lecteurs disposent d’éléments pour se familiariser à la lecture et maintenir avec le livre audio. La plateforme Une Voix Une Histoire est donc de point de vue un excellent outil et un bon moyen d’accession aux livres pour ceux qui rencontrent des difficultés à lire le créole. L’éditrice Madame Manick Tiar-Titeca participe donc à ce rêve et profite de l’occasion pour la remercier de me permettre l’accession à ce rêve. 

LDL : Sansan est un ouvrage sur la langue créole elle-même, qui pose les problèmes de la langue, plus particulièrement son oralité. Désormais disponible en livre audio, vous semblez achevez votre mission de valorisation de cette langue ?  

JD : Une expression créole dit : « Sé dèyè mòn ki ni mòn » autrement dit le chemin est encore long mais incontestablement Une Voix Une Histoire contribue également à cette mission de diffusion des langues créoles vers le continent africain territoire de nos lointains ancêtres éparpillés. 

LDL : Que proposez-vous pour pallier la décréolisation progressive qui semble gagner la Martinique et les régions caribéennes de manière générale et en quoi les initiatives d’éditions de livres audios peuvent être utiles ? 

JD : Ma proposition pour pallier la décréolisation reste simplement des publications en langue créole dans divers domaines. Celui d’abord de la comparaison des deux créoles de Guadeloupe et de Martinique. C’est ainsi qu’avec l’éditeur Caraïbéditions ont été publiés : Konparézon/Siparézon ; expression métaphorique en créole de Guadeloupe et de Martinique. Le Dictionnaire comparé des créoles de Guadeloupe et de Martinique Biten/ Bagay et ce mois-ci à l’occasion de la Journée Internationale du Créole le 28 octobre sortira Mo manman consacré aux injures en Guadeloupe et Martinique.

C’est aussi celui de la collecte auprès de la population. Cette modeste enquête m’a permis de sortir l’ouvrage Krey Mo Mawot : Petit lexique des mots créoles peu usités.

Interview avec Judes Duranty, l'auteur de l’audiobook "Sansann" chez Une Voix Une Histoire    

Enfin je suis convaincu que la traduction permet à la langue de se confronter à d’autres réalités c’est dans ce sens que j’ai proposé la traduction du roman guadeloupéen « La véranda » de Dominique Lancastre en créole de Martinique. L’ouvrage de Maryse Condé « Hugo le terrible » qui est devenu « Siklòn Igo » en créole de Martinique. Des pièces de théâtre également ont été traduites « Trempette » de Guillaume Malasne et « Cyclone » de Daniely Francisque et enfin « Au théâtre ce soir, le spectacle continue » de Roland Jean-Baptiste Edouard Je suis persuadé que la traduction d’œuvres majeures permettra à la langue créole d’accéder à ce que Jean Bernabé appelait « la souveraineté scripturale ». Nous autres écrivains avons donc cette mission d’écrire en créole afin que nos lecteurs lisent et écoutent les livres audio d’Une Voix Une Histoire          

Merci ! 

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