L’époque où exposer sa vie privée est considéré comme vulgaire est-elle déjà révolue ? “Soyez polis avec tous, mais intimes avec peu”, George Washington, premier président des Etats-Unis. Les mass média, le désir de se sentir plus proche de ses administrés, de partager sa vie avec eux, a-t-il poussé les leaders du monde occidental à franchir le cap ? En 20 portraits “Dans l’intimité des présidents américains”, du journaliste et spécialiste des Etats-Unis contemporains, Thomas Snégaroff évoque l’utilisation de l’intimité dans la communication politique.
Dans cet ouvrage publié chez les éditions Tallandier et rendu public en septembre 2024, le journaliste et historien revient sur comment l’intimité est utilisée dans les campagnes électorales aux Etats-Unis. Comment elle est systématiquement mobilisée et mise en scène pour la conquête ou la conservation du pouvoir. En un mot, comment l’intime est devenu politique ?
Ce livre vient à point nommé à quelques jours du scrutin présidentiel serré entre le republicain Donald Trump et la démocrate Kamala Harris. Sur 224 pages, Thomas Snégaroff éclaire l’opinion sur l’utilisation de la vie privée des présidents dans la communication politique outre-Atlantique depuis des décennies.
Le livre de Thomas Snégaroff raconte autrement l’histoire de la présidence américaine. Il est écrit pour toutes personnes concernées par les élections américaines mais également pour ceux qui souhaitent savoir la place de l’intimité dans les élections de manière générale.
Faisant appel à l’émotion plus qu’à la raison, l’intime est progressivement devenu au XXe siècle une pièce maîtresse de l’accès au pouvoir et de son exercice aux Etats-Unis. Il montre comment, bien utilisé par les communicants, celle-ci peut jouer favorablement à l’actif du candidat et comment mal utilisé, elle peut détruire.
Mettre en avant son intimité est une arme à double tranchant pour les candidats qui s’y hasardent. Cependant, elle ne l’est véritablement que lorsqu’elle contrevient et contredit un discours et une construction politique. Prenant exemple sur le président et candidat Donald Trump, l’auteur souligne que sa vie intime ne contredit ni son discours ni sa construction politique.
C’est ce qui justifie le fait que malgré les enregistrements découverts de lui disant qu’il voulait “attraper les femmes par la chatte” et les embrasser de force, sa réputation n’a pas été autrement mise à prix. Celui-ci ayant déjà clairement affiché sa sincérité morale à ces comportements. D’ailleurs, note l’auteur dans une interview, 77% de ses électeurs le considèrent comme moralement défaillant.
Dans son livre, le journaliste et historien note aussi que l’électorat américain est ultra stratège. Il décide donc de fermer les yeux sur les déviances, notamment les scandales sexuels, du candidat. Il sait qu’il est en mesure de réaliser une prouesse jamais réalisée auparavant : le renversement de l’arrêt Roe v. Wade de 1973, qui garantissait le droit à l’avortement dans tous les Etats.
L’usage de l’intimité à des fins politique est beaucoup plus difficile pour une femme en politique aux Etats-Unis, car ces derniers ont deux grandes attentes souvent cycliques : la virilité et l’empathie. Il est donc plus complexe aux femmes de prouver qu’elles sont viriles tout en montrant leur empathie. Hillary Clinton en a fait les frais en 2008.
La candidate démocrate Kamala Harris parvient tant bien que mal, pour sa part, à faire un meilleur dosage de sa personnalité. Elle s’en sort plutôt bien en rigolant. Son rire a la double vocation de : l’humaniser sans la déviriliser. En riant, elle montre ses émotions et n’est donc pas considérée comme un glaçon froid, sans émotions.
Thomas Snégaroff souligne dans son livre que : “un bon candidat à la présidence américaine est quelqu’un qui tend aux Américains un miroir flatteur”. Un candidat en mesure de donner à l’électorat l’image d’une Amérique qui s’imagine un avenir empathique et une grandeur largement blanche et viriliste. Un candidat capable d’imprimer de la nostalgie viriliste et/ou un avenir empathique.
L’usage de l’intimité en politique n’est pas hors-sol, il dépend à chaque fois d’une condition particulière, d’un candidat particulier et d’un moment particulier.
Comment l’intime est progressivement devenu une clé de l’accès à la fonction suprême aux Etats-Unis. Il l’a démontré à travers des rappels historiques sur l’arrivée des communicants dans les années 1920, proposant de vendre les hommes politiques comme des savonnettes. La pléthore de communicants au détriment de conseillers politiques quelques décennies plus tard, soit dans les années 1980 a permis aux journalistes de gratter la vérité.
Il s’est également appuyé sur des présidents américains comme Franklin Roosevelt et John F. Kennedy pour montrer comment un déphasage entre vie intime et discours public peut nuire durablement à la crédibilité du candidat et plus tard du président.
Un livre à lire !