Il est de ces personnes qui s’accrochent à la vie malgré ses vicissitudes. Celles-ci peuvent parfois éprouver notre degré de ténacité mais souvent nous font prendre conscience de notre fragilité. Dans une vie marquée par la violence et la perte d’êtres chers, il ne reste que l’empreinte indélébile d’un destin raté, d’une mission à laquelle l’on a échouée. Catherine-Lune Grayson dans son roman intitulé Le Testament de nos corps, publié en 2016 au Québec aux Éditions Mémoires d’encres, invite à voguer dans les récits d’une jeune fille contant l’existence de son père. Sur 89 pages, l’auteure peint le parcours rongé de regrets d’un homme, d’un véritable combattant.

Présentation de la couverture de l’œuvre et impressions
Le Testament de nos corps se présente sur une couverture douce et agréable, où se mêlent le blanc, le rouge, le noir, et le vert. À la première de couverture, on lit le nom de l’auteur ainsi que le titre de l’oeuvre le tout encadré dans un cadre blanc, suivi du genre de l’ouvrage en rouge. Le nom de la maison d’édition est écrit en noir dont le symbole es semblable à une tâche de sang.
La quatrième de couverture offre un bref résumé suivi d’un poème extrait de l’œuvre, puis enfin d’un bref aperçu sur l’auteur.
À partir du titre de cette œuvre, le lecteur peut s’attendre à une histoire à l’eau de rose, une histoire d’amour, une intrigue dont les cœurs en sont le nœud de résonance. Le mélange des couleurs qui constitue la couverture exprime également des émotions telles que la nostalgie, la peur, le chagrin et pourquoi pas la mort !
Résumé du roman Le Testament de nos corps de Catherine-Lune Grayson
Une jeune fille raconte la vie de son père, une vie partagée entre guerres, violences et regrets. Partant de l’enfance de Waberi Abdulaziz Nuur vécue entre la Somalie et le Kenya,Waberi devenu plus tard Azziz, la jeune fille dévoile le portrait de son défunt père. Exprimant à travers des poèmes ses émotions et ses souvenirs, elle cherche à immortaliser ce qu’à été l’existence de celui qui fut son père.
Analyse et avis sur le roman Le Testament de nos corps de Catherine-Lune Grayson
« Et tu redeviendras poussière.» p. 12. C’est sur un tel vers symbolisant le début d’un petit poème en prose que l’auteur plonge dans le décor de l’histoire qu’elle conte à travers les yeux d’une jeune fille. Depuis des millénaires et pourquoi pas des siècles, la guerre a toujours été un événement tragique bouleversant le cours de l’existence des hommes. Si en guerre les plus forts affirment davantage leur suprématie, ce sont les plus faibles qui endurent les plus profondes souffrances.
Catherine-Lune Grayson à travers le personnage de Aziz, présente une figure de la souffrance et de la résistance. La figure d’un être dont le cours de l’existence a été modifié par la guerre et les conflits entre nations. Décrivant le visage de son père avant son exil, la jeune fille affirme à la page 23 :
« Dans ce pays d’hiver, il était arrivé sans rides.»
L’auteur nous illustre à travers cette affirmation comment les événements tragiques peuvent faire basculer toute notre existence et métamorphoser notre personnalité. En racontant la rencontre de ceux qui deviendront des années plus tard les géniteurs de la jeune fille, l’auteur montre que rien n’est tracé mais que tout est construction et décision de l’homme.
C’est grâce à de l’audace de Clara, la mère de la jeune fille que celle-ci eut Aziz pour père. Catherine-Lune Grayson démontre à travers cette rencontre, ( la rencontre de Clara et Aziz) que l’union naît souvent de l’association des contraires. L’auteur explique cela à travers les mots de la jeune fille qui affirme :
« Pourtant, il aurait été difficile de dire ce qui rattachait cette fille qui n’avait jamais connu la misère et la violence à un survivant de l’impossible. » p.31.
Catherine-Lune Grayson dans cette œuvre, interpelle les lecteurs sur un point essentiel dans l’existence de tout être : la quête du bien-être. L’homme est perpétuellement en quête d’un mieux-être et ce peu importe le moment ou les conditions. Même les enfants cherchent également le mieux-être et ceci illustre d’ailleurs bien le caractère insatiable de l’homme et sa course effrénée vers le bonheur.
Le bonheur qui comme l’a déjà dit les grands penseurs tel Aristote, Kant et bien d’autres est un idéal subjectif. Mieux : le bonheur est relatif. L’auteure montre à travers les personnages de Mirabeau, Aziz et Zia que la somme des idéaux de bonheur subjectifs peut conduire à un idéal de bonheur collectif.
On peut lire à la page 46 de l’œuvre la raison du choix de l’exil des enfants comme nous l’avions mentionné plus haut est la quête d’un mieux-être :
« …ils avaient conclu que le bidonville était encore plus sale et sans doute plus dangereux que le camp.»
À travers le parcours de ces trois personnages, Catherine-Lune Grayson explique que les enfants dès leur bas âge rêvent déjà de pouvoir prendre soin de leurs parents. Ceci explique parfois les décisions qu’ils prennent et leur témérité face à certaines situations. Les parents étant parfois trop protecteurs, préfèrent avoir leurs enfants près d’eux que de les voir embrasser un voyage vers une terre inconnue en quête de bien-être mais surtout de moyens pour pouvoir s’occuper à leur tour d’eux.
L’auteure dévoile toujours à la page 46 les motivations qui ont poussé les trois enfants à l’exil :
« Tout allait bien, ils pourraient bientôt lui envoyer de l’argent.»
S’il existe un fléau qui guette de plus en plus les jeunes en quête de bien-être, il peut s’agir que du voyage clandestin. Catherine-Lune Grayson met en garde les jeunes et tous ceux qui rêvent d’un mieux-être ailleurs de cette pratique. Elle montre une partie des dangers que courent ceux qui s’embarquent dans les voyages clandestins à travers la noyade de Zia, la sœur d’Aziz.
Comme dit précédemment, rêvant d’un mieux-être, ces jeunes ont décidé de quitter leur terre natale afin de devenir leur rêve. Et faute de moyens, ils se sont retrouvés dans une embarcation sur un bateau vers une destinée inconnue. C’est ainsi que Aziz perdit sa sœur Zia dans la mer au cours d’une tempête, emportée par la mère.
Le roman Le Testament de nos corps de Catherine-Lune Grayson est subdivisé en onze principaux chapitres. Les chapitres révèlent le projet de l’auteure de part leur titre, celui de décrire, de peindre, d’offrir sur un tableau l’existence de son personnage principal. Les chapitres sont titrés selon les différentes parties ou membres du corps humain.
Ainsi on peut lire : Cou, Visage, Dos, Genoux, Mains et autres. Ce procédé employé par l’auteur est une frappante façon de toucher la sensibilité du lecteur. Les poèmes en prose placés au début des différents chapitres donnent une poéticité à l’œuvre. Catherine-Lune Grayson fait vivre au lecteur les émotions de la jeune fille. L’ouvrage est bien écrit et aéré, ce qui rend la lecture plus intéressante et fluide. L’emploi du swahili et des proverbes somalien (Guri ann hooyo lahayni waa lama degaan/ Une maison sans mère est comme un désert) octroie une richesse linguistique à l’œuvre.

QUELQUES CITATIONS ET PROVERBES INSPIRANTS TIRÉS DE L’OEUVRE
« Quand on n’a pas vingt ans, la mort, ça ne veut pas dire grand-chose. » p.46
« On meurt jeune dans les pays en guerre.» p.68
« parfois la volonté de devenir nous fait poser des actes que nous regrettons.» p.38
« L’innocence, ça ne dure pas si longtemps. » p.53
« On se met à genoux pour exprimer son humilité et son admiration, sa compassion, pour être à la hauteur d’un enfant. » p.63
« Car cet ailleurs où nous sommes tous les mêmes, unis par la langue, le sang, la peau, les rites, cet endroit où nous nous fondons les uns les autres, où nous formons un tout n’existe pas vraiment. » p.33.
BREF APERÇU SUR L’AUTEUR
Née en 1977, Catherine-Lune Grayson a grandi à Saint-Adrien, en Estrie. Elle est romancière, anthropologue et travailleuse humanitaire, auteure de : L’invention de la tribu, publié en 2012 chez Mémoire d’encrier.