La Françafrique dans Ils savent que je sais tout de Robert Bourgi : quelles leçons pour l’Africain d’aujourd’hui ?
La Françafrique dans Ils savent que je sais tout de Robert Bourgi : quelles leçons pour l’Africain d’aujourd’hui ?

La Françafrique dans Ils savent que je sais tout de Robert Bourgi : quelles leçons pour l’Africain d’aujourd’hui ?

              La Françafrique est un concept aussi vieux que la colonisation. Ce néologisme dont la paternité a été pendant longtemps attribué à tort à l’ancien président ivoirien Félix Houphouët Boigny et plus tard à l’ancien président de l’association Survie François-Xavier Verschave, est apparu, pour la première fois, dans une presse écrite, dans le journal L’Aurore du 15 août 1945, sous la plume de son rédacteur en chef Jean PIOT qui préconisait que la seule option qui s’offre à la France si elle veut se redresser dans les cendres de la Guerre était de nouer une alliance avec ses colonies d’outre-mer. En effet, à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, la puissance économique des colonisateurs, en occurrence celle de la France était à plat. Dans le même temps, sa présence devenait de plus en plus gênante et plus contestée sur le continent africain où, désillusionné, l’Homme Noir était déterminé à guillotiner le maître pour arracher définitivement sa liberté et son indépendance réelle. Mais pour la France d’alors – et certainement celle d’aujourd’hui-, cette perte précipiterait sa chute des grandes puissances du monde. Il fallait alors coûte que coûte sauvegarder ses intérêts économiques dans ses anciennes colonies. Cette cause plaidée à l’Organisation des Nations Unies avait obtenu l’adhésion de quatorze voix et lui a permis de nouer une nouvelle relation – censée être fondée sur la confiance avec ces dernières. C’est ainsi qu’est née la collision qui se révéla plus tard comme une véritable relation (néocoloniale) d’exploitation, de domination et de contrôle des anciennes colonies françaises en Afrique sur les plans économique, monétaire, diplomatique ou militaire. Si pour de nombreuses personnes, cette relation toxique ayant proliféré sous couvert de libéralisme appartient désormais à l’Histoire, surtout avec la mort de ses figures majeures comme F.H. Boigny, J. Foccart et autres, il n’en reste pas moins que pour d’autres, elle reste et se perpétue.

C’est ce que semblent confirmer Robert Bourgi, acteur clé, symbole de ce système – depuis sa naissance – et Frédéric Lejeal. Dans le livre Ils savent que je sais tout : Ma vie en Françafrique paru aux éditions Max Milo le 25 septembre 2024, Bourgi, interviewé par Lejeal nous livre sa vie, ses relations avec son mentor Jacques Foccart et l’ensemble – paraît-il – des missions qu’il a effectuées pendant ses quarante ans au service de la Françafrique. Sur les six cent cinquante et huit (658) pages de ce livre subdivisé en trente (30) différents chapitres, il dévoile une panoplie de secrets pour la plupart restés inaccessibles à l’opinion publique. Si l’on est libre de croire ou non à toutes ses révélations, – un vieil homme serviteur du mal, aux portes de la mort, n’a pas un don particulier pour la vérité – les informations dévoilées sur la Françafrique ont pour le monde entier et surtout pour la jeunesse africaine, un intérêt particulier. Quelles leçons faut-il tirer en tant qu’Africain aujourd’hui, de ses révélations de Robert Bourgi ?

  1. L’environnement : facteur influent dans l’éducation

L’environnement dans lequel un enfant grandit joue un rôle déterminant sur ses penchants, sur ses modèles. C’est une réalité que nous devons aujourd’hui considérer dans l’éducation de nos enfants. Si Bourgi est sans nul doute le pont intergénérationnel qui a permis la survie de la Françafrique, il faut souligner qu’il l’a hérité de son père Mahmoud Bourgi et de sa mère. 

Riche commerçant international, Mahmoud n’a pourtant jamais voulu cet avenir de serviteur du mal pour son enfant. Son ardent désir était de voir son enfant suivre ses traces dans le monde des affaires. Son problème, cependant, c’était d’être trop riche et très peu instruit ; il n’a appris à lire et à écrire que l’arabe. 

Domicilié à Dakar, capital de l’AOF, son influence lui a permis de nouer des relations avec la classe politique et de peser vraiment lourd dans leur budget. Il était « l’un des principaux soutiens financiers » du parti politique du pouvoir en place dont le dirigeant d’alors, Lamine Gueye voua un amour fou pour De Gaulle. 

Son influence et son rôle au côté de ce dernier a donné du crédit à la France et lui a permis de rallier facilement les pays africains à la France libre. Il a donc servi, indirectement, et surtout par suivisme, la Françafrique. Grand ami de Jacques Foccart, il remontait toutes les informations sensibles à ce dernier et participait au financement des campagnes de De Gaulle. 

Dans cet environnement, on pourrait affirmer que c’est Mahmoud la principale source d’inspiration de Robert. Il n’en est pourtant rien. Le penchant pour la culture française, Robert Bourgi le tient de sa mère dont « les goûts penchaient clairement vers la France avec une réelle volonté d’assimilation. » 

Elle initia ses enfants à la culture française à travers la littérature française. C’est ainsi que, très jeune, Robert s’intéresse à la politique française. D’ailleurs, il soutint sa thèse sur le général Charles de Gaulle qui devient son idole en politique. Comment peut-on s’étonner qu’il ait décidé plus tard de servir la politique française au péril des intérêts de ses origines ?

  1. Le manque de solidarité entre les africains : une malédiction ?

L’une des révélations phares de ce livre, c’est l’ignoble politique de déstabilisation que la France sème dans ses anciennes colonies. En effet, dans son ardent désir de perdurer les accords lédoniens de la Françafrique, les dirigeants français n’hésitent pas à étouffer toutes les énergies émergentes en Afrique, à écarter tout Africain qui refuse de rentrer dans les rangs. 

Deux différents cas illustrent à merveille cette triste réalité. La première et la plus ancienne, est le coup d’Etat manqué au Bénin en 1977 sous le Général Mathieu Kérékou. Bourgi nous apprend à ce propos que c’est l’œuvre de Charles de Gaulle, mais parfaitement orchestré en complicité avec des Etats voisins comme Félix Houphouët Boigny de la Côte d’Ivoire, Omar Bongo du Gabon et le roi Hassan II du Maroc. 

Le deuxième exemple et le plus récent, c’est le triste sort de Laurent Gbagbo. En effet, la Côte d’Ivoire, souligne Robert Bourgi, « n’est pas n’importe quel pays pour la France en Afrique. Et pour cause, « Tous les grands groupes et des centaines d’entreprises y sont installés » Cela explique toute la difficulté de la France à le reconnaître comme président légitime. 

Chirac ne jurait que pour Houphouët, il craignait que Gbagbo ne soit pas « docile » comme ce dernier. Il fallait l’écarter par le sabotage, même s’il avait gagné les élections de 2010. Mais comme toujours, cela n’a été possible que par la complicité interne de certains ivoiriens avec la participation militaire de certains voisins comme le Burkina Faso de Compaoré. 

Une civilisation n’est détruite de l’extérieur que lorsqu’elle est rongée de l’intérieur. Cette phrase si chère à l’activiste Kémi Seba prend tout son sens dans ce livre de Robert Bourgi et doit interpeller la conscience de chaque africain aujourd’hui. L’Afrique ne prendra son indépendance réelle que lorsque ses filles et fils parleront d’une seule voix, lorsqu’une solidarité réelle régnera entre tous les pays qui la composent.

  1. Soutien et financement des dictateurs africains

Si la relation entre la France et ses anciennes colonies d’outre-mer implique dans – les textes – un partenariat économique, il faut souligner qu’il y a des activités précises que cette dernière finance. La guerre et les djihadistes. Comme la guerre et l’instabilité politique profitent aux affaires, la France hésite moins à financer les groupes de déstabilisation politique qu’elle ne finance des projets de société. 

Aussi est-elle souvent apte quand il est question d’apporter des soutiens financiers à un dictateur sur le continent noir. Elle a appuyé militairement, par exemple, la politique de Sassou Nguesso. La politique française en Afrique est donc toute simple : elle créée l’insécurité, l’insécurité politique et propose ses soldats

C’est probablement ce qui explique la forte présence des bases de l’armée française en Afrique. Mieux, la France va jusqu’à proposer des nominations au sein de l’armée de certains Etats en Afrique, des propositions, qui sont, vous en doutez, rarement rejetées. Ce fut le cas au Zaïre. 

Ces révélations apportent deux informations cruciales à l’Africain d’aujourd’hui. La première, c’est la certitude que la présence des bases militaires français en Afrique n’est pas du tout un hasard. Elles jouent des rôles précis. La deuxième et la plus importante, c’est qu’il est aujourd’hui un devoir de citoyenneté d’encourager – et de précipiter – le départ des militaires français des pays africains. Cette entreprise qui a commencé dans les États de l’AES et qui stimule déjà des volontés chez des voisins comme le Sénégal et le Tchad mérite le soutien de toute l’Afrique.  

  1. La politique des valises : quand les présidents africains financent la politique française

Ce n’est pas une information nouvelle. La France vit et elle a toujours vécu sur le dos de ses anciennes colonies. Toutefois, la Françafrique est un cercle extrêmement fermé. Pour cela, son mode opératoire étant encore dans un passé récent, un véritable mystère. Ce que Robert Bourgi nous apprend, ce n’est donc pas le fait que l’argent des pauvres africains sert à engraisser la santé économique et politique française. Non. On l’a toujours su. Ce qu’il nous apprend, par contre, c’est comment cet argent vole de l’Afrique pour atterrir à l’Elysée sans attirer l’attention. 

En effet, une collecte de fonds en Afrique a été initiée depuis 1981. Par elle, les dirigeants africains – pas tous – sont sollicités à chaque élection en France pour financer les partis politiques. A chaque élection, pas moins de 400 millions de FCFA étaient ramassés en Afrique. Certains présidents étaient d’ailleurs très généreux. Si les principaux contributeurs étaient Nguesso, Bongo, Eyadéma et compaoré, il faut souligner que certains présidents étaient plus généreux que d’autres. 

Bourgi nous apprend, par exemple, que pour le premier présidentiel de Jacques Chirac, Bongo a, à lui seul, débourser 1,5 millions d’euro, soit environ 980.000.000 millions de FCA. Ces « dons » n’étaient encadrés par aucun régime juridique. Mais « c’était le prix à payer pour avoir la paix. » Même le président Gbagbo était obligé, à son arrivée au pouvoir, de trahir la gauche et ses propres idéaux pour satisfaire à cette vieille tradition. 

Ces sommes d’argent sont transportées dans des sacs et parfois dans des instruments de musique qui, sous la grande supervision de Robert Bourgi quittent l’Afrique et atterrissent en France sans aucun contrôle. La première question qui doit surgir lorsqu’on apprend cet état de chose, que des présidents acceptent financer des partis politiques d’ailleurs à hauteur des millions alors que leur population meurt de faim, une seule question surgit : les dirigeants africains seraient-ils épris du clientélisme politique ou sont-ils encore atteints du syndrome du complexe d’infériorité ? 

Robert Bourgs, penche pour la dernière option. Selon lui, si les dirigeants africains sont utilisés par la France comme « des vraies vaches à lait », c’est parce qu’ils ne se comportent pas en président, ne se pensent égaux aux dirigeants des pays occidentaux. Ils se considèrent encore comme « sous hommes » qui cherchent à plaire au maître même s’ils doivent s’humilier. Raison pour laquelle ils ne sont considérés que quand ils sont utiles aux intérêts français. 

  1. Et si l’ingratitude était française ?

L’Histoire de la Françafrique est fortement tamponnée de l’ingratitude de la part de l’Elysée. Même si, de par ses confidences, Bourgi nous apprend une réalité qu’on connait déjà. L’Histoire est têtue. Et elle est surtout capricieuse. Les africains n’ont point la mémoire si courte pour oublier si vite les massacres des tirailleurs sénégalais, parce qu’ils ont réclamé et exigé leur dû. 

Ils savent donc, depuis longtemps que s’il y a bien une chose que la France s’est faire le plus, c’est d’être ingrate dans ses relations avec ses anciennes colonies. Et les révélations de ce livre laissent malheureusement croire qu’elle est bien décidée à conserver le titre du roi de l’ingratitude. 

Deux évènements majeurs illustrent ce désir. Le premier concerne la fin du maréchal Mobutu. Après avoir servi les intérêts de la France durant tout son règne, il demanda, alors qu’il était déjà en proie à un cancer de prostate à passer le reste de sa vie dans sa villa en France, à Roquebrune-Cap-Martin parce que les négociations sur Outenika ont échoué et il se sentait sa sécurité menacée. 

Et la France dit ceci : « Qu’il aille mourir ailleurs » Parce qu’aux yeux de la France, ce vieux président qui périclite malgré « ses actes financiers posés pour la France », « ne représentait plus rien. » Et dernièrement, le président Laurent Gbagbo a subi le même sort. « Dès l’élection en 2000, Paris fut déloyal envers lui », malgré les nombreux accords de coopération et de défense militaire qui liait la France et la Côte d’Ivoire, Chirac a refusé de voler au secours du président ivoirien lorsque la rébellion a lancé son offensive, en septembre 2002 sur Abidjan. 

Mais, elle a trouvé légitime de faciliter l’avancée des rebellions. La grande question qu’on se pose après avoir lu une telle confidence, est celle-ci : Peut-on rêver d’un jour d’une relation de confiance avec l’ancien colon ? Faut-il aujourd’hui croire Emmanuel Macron lorsque dans ses beaux discours ils affirment sa volonté de coopérer dans la confiance et la loyauté avec les Etats africains ? A chacun de répondre !

Edmond BATOSSI

Étudiant / Master I Droit privé fondamental / FADESP-UAC / Bénin; L’ivre Du Livre

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2 commentaires

  1. HANTAN Régis M.

    De véritables et lourds secrets ont été dévoilés dans cet ouvrage. Il est important que les africains apprennent à travers les livres car c’est la connaissance qui affranchira l’Afrique. Ils ne devraient pas corroborer à travers leur attitude l’idée selon laquelle : A un africain, les vérités doivent être caché dans un livre puisqu’il n’a pas l’habileté de feuilleter les pages d’un livre.

    Merci pour cet article qui déchante sur de nombreux plans.

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