Entretien avec l’auteur béninois Malick CHABI GONI
Entretien avec l’auteur béninois Malick CHABI GONI

Entretien avec l’auteur béninois Malick CHABI GONI

‘’La bibliophobie sauvage supposée ou réelle qui caractérise notre époque est peut-être liée à plusieurs facteurs qu’on ne saurait généraliser. Mais si on peut déjà travailler à rendre accessible le livre et, autant que faire se peut soutenir une certaine culture du livre dans l’éducation, je crois que c’est un défis qui peut être relevé.’’

Malick CHABI GONI (MCG) est un jeune écrivain béninois né à Banikoara. Il a fait des études en sciences humaines qu’il poursuit à Strasbourg, en France. Il a été le 1er Lauréat de la première édition du Concours international Séverin BOUATINI de la Nouvelle en avril 2022 à Abidjan avec le texte « Nuit de Noces ». L’Eldorado de Mélissa est son premier recueil de nouvelles. Il reste persuadé que la lecture demeure encore l’un des piliers pour châtier nos mœurs et participer à la venue d’un monde plus beau dans une société plus juste et plus humaine.    

L’Eldorado de Mélissa : Malick CHABI GONI 

Volet 1 : Dynamique littéraire

LDL : En tant qu’écrivain béninois, pouvez-vous nous parler de votre parcours littéraire et ce qui vous a inspiré à devenir écrivain ?

MCG : Il faut dire qu’au départ tout est parti de la lecture. J’ai très tôt découvert l’univers littéraire et plus je lisais, plus j’avais envie de communiquer quelque chose : mes convictions, mes peurs et mes espoirs, mes luttes intérieures et mes victoires. Et en lisant aussi parfois je me retrouve dans ce que je lis, je me retrouve dans la peau de celui qui écrit, dans les sentiments, le message et ce qu’il communique à son lecteur. Cette intimité avec l’auteur m’a beaucoup influencé. Dans mes lectures, je ne voyais plus seulement le texte, l’image que les mots évoquent, la trame de l’histoire mais aussi et surtout l’auteur qui écrit. Et c’est progressivement dans cette intimité que j’ai commencé à poser mes premières lettres. 

LDL : Quels sont les écrivains ou les œuvres qui ont influencé votre style et votre approche de l’écriture ?

MCG : Dans mes aventures littéraires, j’ai beaucoup lu les auteurs africains. Il faut dire que j’ai une préférence particulière pour la première génération d’écrivains africains que beaucoup connaissent sans doute. Je veux nommer entre autres Mongo Beti, Camara Laye, Alioum Fantouré, Bernard Dadié, Ferdinand Oyono, Cheikh Hamidou Kane et Sembène Ousmane qui sont pour moi les plus grands et les meilleurs écrivains lorsqu’on veut vraiment s’imprégner de certaines réalités africaines. Je voudrais évoquer ici trois ouvrages qui m’ont littéralement transformé. Le premier c’est Le pauvre Christ de Bomba de Mongo Beti, publié en 1956, le deuxième c’est L’Harmattan de Sembene Ousmane, publié en 1964 et le dernier c’est Le cercle des tropiques de Alioum Fantouré publié en 1972. Il est par exemple difficile de ne pas succomber à la tentation d’entrer dans cette intimité qui se vit avec Sembene Ousmane ou avec Alioum Fantouré. C’est là une expérience qui m’a fondamentalement marqué.

LDL : Vous avez remporté le premier prix lors du Concours international Séverin BOUATINI de la Nouvelle en 2022. Comment cette expérience a-t-elle influencé votre carrière d’écrivain ?

MCG : Avant ce concours, j’écrivais mais je n’avais jamais osé rendre public mes écrits. Ce concours m’a permis de me refaire confiance et d’enfin décider de publier mes textes. J’ai eu aussi l’occasion de rencontrer d’autres auteurs et discuter avec eux. J’ai beaucoup appris. Ce concours a été un peu comme l’événement qui m’a permis de me lancer.

LDL : Pouvez-vous nous parler de l’importance de la littérature dans la société actuelle, en particulier en ce qui concerne la jeunesse africaine ?

MCG : Quand on parle de littérature, la première chose que j’entends c’est d’abord la lecture mais aussi l’écriture. L’importance de la lecture n’est plus à démontrer surtout pour l’éducation dans un contexte où les médias et les réseaux sociaux envahissent tous les domaines de la vie. Je pense qu’on devrait travailler à réveiller une culture de la lecture surtout pour les enfants. Initier les enfants à la lecture et à l’amour de la lecture est une des bases d’une éducation réussie. Et je me réjouis de ce que beaucoup de jeunes comme moi, se prennent de passion pour l’écriture. On peut faire de remarquables choses avec ce que nous écrivons. C’est Sankara qui disait « qu’il n’y a pas d’écriture innocente »[1] et je crois qu’écrire c’est aussi s’engager pour une cause. Voilà pourquoi c’est possible de militer pour la bonne cause avec sa plume.

LDL : En tant que philosophe de formation, comment votre expérience académique a-t-elle influencé votre approche de l’écriture littéraire ?

MCG : Quand on écrit, on écrit avec tout ce qu’on est et tout ce qu’on fait. Je ne sais pas comment mais je suis sûr que quelque part la philosophie a influencé ma manière de voir, d’interpréter et de comprendre le monde qui m’entoure mais aussi ma manière de transmettre mes propres perceptions. La connaissance de certains auteurs philosophiques vous transforme forcément. On ne sort pas de la philosophie comme on est entré. Pour ma part, je sais que je me suis frotté à certains auteurs un peu rude et quelquefois pointé du doigt mais c’est aussi cela la philosophie. Avoir le courage de ses choix.

LDL : Vous êtes conscient du poids de la lecture pour la venue d’un monde plus beau, plus juste et plus humain. Selon vous, qu’est-ce qui peut être à la base de la supposée réticence des jeunes face aux livres et à la lecture ?

MCG : Jean de Santeul, un auteur français du XVIe siècle écrivait «castigat ridendo mores» corriger les mœurs en riant. Je dirais quant à moi, transformer les mœurs en lisant.  Et il ne s’agit pas seulement de lire le français, l’anglais ou les langues officielles imposées par le fait colonial, mais aussi de pouvoir le faire dans nos langues locales; en Batonu, en Waama, en Fongbé, en Yoruba et j’en passe. La littérature pour moi n’est pas restreinte dans les limites du français. C’est à cette condition que, tel un levain dans la farine, la lecture fera son effet. Plus vite la jeunesse l’aura compris, mieux elle se portera. La bibliophobie sauvage supposée ou réelle qui caractérise notre époque est peut-être lié à plusieurs facteurs qu’on ne saurait généraliser. Mais si on peut déjà travailler à rendre accessible le livre et, autant que faire se peut soutenir une certaine culture du livre dans l’éducation, je crois que c’est un défis qui peut être relevé.

LDL : Que faites-vous pour développer davantage l’amour de la lecture dans votre vie quotidienne ?

MCG : C’est Gandhi qui disait d’être le changement qu’on désire voir dans le monde. Donc tout commence par un travail sur soi-même. J’essaie de maintenir déjà cet amour de la littérature pour moi-même en essayant de toujours trouver le temps pour lire mais aussi travailler à mieux écrire. Autre chose aussi que je vais vous confier, c’est que pour moi, le meilleur cadeau que j’offre toujours en toute occasion, c’est le livre. Pour moi il n’y a pas mieux. Mais je crois que chacun peut travailler à son niveau pour développer cet amour de la lecture.

Volet 2 : L’œuvre L’Eldorado de Mélissa

LDL : « L’Eldorado de Mélissa » aborde des thèmes profonds liés aux défis auxquels la jeunesse africaine est confrontée. Pourquoi avez-vous choisi d’explorer ces thèmes dans votre premier recueil de nouvelles ?

MCG : Les thématiques que j’aborde dans ce livre sont des sujets qui m’ont marqué en général et sur lesquels j’ai toujours voulu écrire. Il était donc important pour moi de commencer par là. Il y aura sans doute certaines positions qui ne seront pas partagées par tous mais ce n’est pas grave. Le but n’est pas de les imposer. Ces thèmes étaient trop importants pour ne rien écrire dessus. Mes prochaines parutions continueront dans ce sens en traitant de thématiques concrètes et actuelles. 

LDL : Pouvez-vous nous parler de la nouvelle éponyme « L’Eldorado de Mélissa » ? Qu’est-ce qui vous a inspiré cette histoire et comment avez-vous développé le personnage de Mélissa ?

MCG : Je l’évoquais un peu plus haut, notre société est envahie par internet et les réseaux sociaux. C’est un fait. Cela présente d’énormes avantages, il ne faut pas le nier. Mais aussi des risques et ce que j’aimerais appeler des ’’biais’’. Progressivement, l’authenticité comme principe de vie devient de plus en plus rare. Beaucoup sont tentés de présenter une vie de rêve sur ces différents réseaux, une vie qu’ils ne vivent pas vraiment. Et cette tendance de vouloir toujours paraître «comme ci» ou «comme ça» influence ceux qui mènent «une petite vie simple et authentique». Ces derniers, parfois peuvent se laisser impacter par ce qu’ils voient sur les réseaux sociaux et se donner l’illusion d’un certain modèle de vie réussie. Cela développe des complexes et «on veut faire comme». On développe alors un suivisme aveugle, on stresse pour un type de mode de vie qu’on s’impose juste pour «être à la page».  Sauf que la réalité peut être brutale et fatale. C’est ce qui est arrivé à Mélissa, tombée dans le piège de ce que lui miroitaient les réseaux sociaux.

LDL : Votre livre présente également des nouvelles telles que « Si j’avais su » et « Erreur fatale » qui sont toutes des histoires d’amour aux fins plus ou moins tragiques. Ces histoires sont-elles le fruit de votre imagination ou des faits que vous avez vécu ?  Si l’histoire est réelle, l’issue est-elle pareille ?

MCG : Toute œuvre littéraire est d’abord un travail d’imagination. Mais cette imagination a toujours des bases dans la réalité. L’écrivain est écrivain de son temps et de son époque dit-on, on part donc souvent soit de ses expériences personnelles ou bien de l’expérience de ceux qui nous entourent. On apprend de tout cela et c’est ce qui constitue le matériau de construction littéraire.

« Si j’avais su » est une histoire émouvante dans laquelle beaucoup de jeunes peuvent se reconnaître même si la fin n’est pas toujours identique. Le but était d’une part de créer un tableau dans lequel tout jeune se retrouve d’une manière ou d’une autre, et d’autre part de stigmatiser certains risques afin de mieux les prévenir.

« Erreur fatale » quant à lui, est partie de la réalité sociale africaine et plus particulièrement béninoise. La manière dont la femme est traité par la belle-famille, l’ingérence de la belle-mère, la question de l’enfant, l’accusation abusive de la femme et du soupçon sur sa famille, la répudiation et le remariage souvent imposé par la famille de l’homme, le tabou autour de la stérilité masculine, toutes ces questions sont des réalités auxquelles on est encore malheureusement confronté dans notre société contemporaine. Ne devrait-on pas en parler ouvertement afin que le voile enfin se lève sur ces questions ?

LDL Pouvez-vous partager un peu plus sur ces histoires avec vos lecteurs et les messages que vous avez essayé de transmettre à travers elles, de manière très rapide ?

MCG : Dans « Si j’avais su », il faut voir deux choses : premièrement les erreurs qu’on pourrait commettre quand on est jeune en ce qui concerne les grossesses et les décisions qu’on pourrait être tentés de prendre. Le deuxième message c’est que l’avortement n’est pas un acte banal. En dépit de toutes les législations qu’on pourrait faire voter, il faut y réfléchir par deux fois.

Avec « Erreur fatale », j’ai voulu mettre le projecteur sur ces tares dont je viens de parler plus haut et qui caractérisent les familles qui s’ingèrent un peu trop dans le foyer d’un de leur membre. Dans ma culture on dit souvent que « si on laisse l’homme et sa femme, ils s’entendront toujours mieux ». C’est pour dire que la grande famille ne devrait pas toujours s’ériger en juge ou en médiatrice. Combien de foyers n’ont pas été brisés à cause de cette ingérence ?

LDL : Dans « Nouvelle ère en République bananière », vous semblez aborder des questions politiques sous une forme allégorique. Pouvez-vous partager avec nous le contexte d’écriture de cette œuvre ?

MCG : On a souvent tendance à blâmer un régime, à appeler de tous nos vœux un autre avec l’espoir qu’il y aura du mieux mais on n’est jamais satisfait. Quelque part même, on pleure l’ancien régime et c’est le jeu des politiques. On a assisté à ça chez nous. C’est ce contexte qui a inspiré « Nouvelle ère en République bananière ».

LDL : Quel regard portez-vous sur la vie politique et publique dans votre pays ? Les mentalités évoluent-elles ? Sentez-vous que la libération des peuples des assoiffés du pouvoir qui les martyrisent est pour bientôt ?

MCG : Quand tout semble verrouillé et qu’on est sans issue, la seule espérance reste dans cette conviction que rien ne dure éternellement. La patience et l’endurance viennent toujours à bout de tout. Notre devoir à nous jeunes est de ne pas lâcher prise. Nous avons à nous engager, à nous former dans la rigueur du travail bien fait, à développer une culture de bonne conscience professionnelle et d’un patriotisme à toute épreuve. J’ai foi en l’avenir.    

LDL : Quel est le but principal que vous visez lors de la publication de l’œuvre, L’Eldorado de Mélissa ? A-t-elle eu l’écho que vous souhaitez ?

MCG : Mon but principal est de partager mon amour du livre, de la lecture, de l’écriture tout en partageant mes positions sur les sujets qui me tiennent à cœur. Le livre a déjà été distribué un peu partout, au Bénin, en Côte d’Ivoire, au Gabon et en France. Une chose est sûre : beaucoup de jeunes me liront. L’essentiel pour moi et je crois pour tout écrivain, est de semer. La récolte peut prendre du temps, mais elle arrivera.

LDL : Un mot pour conclure cet entretien

MCG : On peut participer à l’éducation de nos jeunes frères et sœurs par la lecture. C’est un sain loisir qui portera ses fruits. Je souhaite vivement que nous y arrivions. Je vous remercie.

LDL : Merci !


[1]Thomas Sankara, Discours à l’ONU 1984.

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Un commentaire

  1. C’était un réel plaisir d’interviewer Malick CHABI GONI et de découvrir son parcours inspirant. Sa passion pour l’écriture et son engagement envers la promotion de la littérature béninoise sont véritablement remarquables. J’espère que cette entrevue a permis de mettre en lumière son travail remarquable et d’inspirer d’autres écrivains en herbe. N’hésitez pas à partager vos réflexions et à rester à l’écoute pour plus de contenus captivants sur la littérature et la culture béninoise !

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