La vie de tout être est un mystère. Elle est ce qui permet de retracer son parcours et de le connaître. Il faut également dire que notre vie est la résultante de nos décisions. C’est cela que nous apprend << Celle dont personne ne veut >>, Ken Bugul en wolof dans son tout premier roman qui est une autobiographie intitulé Le Baobab fou publié pour la première fois en 1982 à Dakar. Ken Bugul nous invite sur 222 pages à travers son roman a retourné avec elle dans le passé afin de retracer son histoire. Une histoire qui se laisse découvrir.
Résumé du roman le baobab fou de ken bugul
À travers son roman, Ken Bugul raconte une partie de son histoire allant de son enfance jusqu’à sa maturité. Étant enfant et ayant grandi dans le Ndoucoumane au Sénégal, elle fut abandonnée par sa mère. Cela ne laissait pas la petite indemne mais la rapprochait davantage du grand baobab séculaire.
Obnubilée par l’Occident, Ken après ses études primaires et secondaires s’est vue octroyer une bourse pour la Belgique. Enfin son rêve se réalisait, elle allait pouvoir vivre dans le pays des Blancs, partager la même salle avec eux. Malheureusement la vie en Belgique ne lui rapprochait que davantage de son village natal.
C’est ainsi que naissent les souvenirs du village notamment celui du père, de la mère partit sans dire mot et du baobab. Ken ne fit pas ce pour quoi elle était allée en Belgique mais s’en est plutôt détourné. Alors entre les bars, les boîtes de nuits et soirées suivies de la vie en bling bling, Ken choppa une grossesse après une liaison avec un Blanc.
Elle découvrit en Belgique la conception que les Occidentaux ont de la race noire et mieux de la femme noire et plus particulièrement de la sénégalaise. Sous la pression de son petit ami blanc et celle de sa mère, elle avorta la grossesse et s’envolait pour une vie de débauche plus riche.
Comment expliquer cette tendance qu’ont les africains à être possédé par la vie en Occident ? Quelle est la place du noir dans un pays occidental, un pays aux mœurs contraires à celle de l’Afrique ? Quelle est la profondeur de la nostalgie lorsqu’un être s’éloigne de ses origines ?
Analyse et avis sur le roman le baobab fou de ken bugul
La vie d’un être est pavée d’un nombre incalculable d’événements. Ces derniers invitent l’homme à s’interroger sur le sens de son existence, sur sa place et la relation qu’il entretient avec ses proches. Le Baobab fou bien qu’il soit une œuvre autobiographique appelle à repenser notre vie. Mieux à repenser notre rapport avec nos semblables et à nous déchanter de nos chimères.
Et cela est surtout valable pour toutes ces personnes qui souvent obnubilées par les flatteries et le rêve s’abandonne pour se perdre dans « le grand livre du monde ». Le départ d’un être est souvent une chose à laquelle l’on est jamais préparé. Même malgré des dispositions ou les préparations, les adieux, même formulés avec sourire ne sont que la preuve de la tristesse qui embrase le cœur.
Ken Bugul nous apprend cela à la page 39 de son ouvrage : << Les adieux sont toujours les mêmes partout. Il y avait ceux qui partaient et il y avait ceux qui restaient.>>
Ken Bugul décrit en grande partie dans son œuvre la profondeur de sa nostalgie quand elle se préparait pour son départ en Belgique. Un départ qui, comme nous le montre souvent la société africaine, est l’occasion de conseils et de rappels sur son origine. L’auteure donne comme témoignage, les propos de sa mère lors de son voyage en Belgique.
Il faut souligner que ces propos bien qu’elles témoignent de l’amour des parents envers leurs enfants démontrent la crainte qu’éprouve le noir par rapport à la vie en Occident. << Fais attention aux gens de ces pays-là.>> pouvait-on lire à la page 44 de l’œuvre. C’étaient les propos de la mère de Ken.
L’homme qui court souvent vers l’extérieur, considère sa condition de vie médiocre ou même invivable. L’extérieur est souvent vu par plusieurs comme un idéal, une perfection. Les premières nuits d’un être hors de sa terre natale ne sont pas des nuits ordinaires. Si elles le sont, elles contiennent pourtant de grands souvenirs et même parfois le désir de faire marche arrière.
C’est cette émotion ou du moins l’impression qu’à eu l’auteure à l’occasion de ses premières nuits en Occident. Elle ne cache pas cela à la page 50 lorsqu’elle remarqua que le matelas de la chambre où elle était appelée à passer sa première nuit, n’était pas si confortable que le lit de paille sèche auquel elle était habituée dans son pays natal.
On voit également à travers ce constat de l’auteure , la nécessité de l’adaptation. On peut dire que soit c’est l’homme qui s’adapte ou c’est l’adaptation qui s’impose à lui.
L’auteure ne fut pas au terme de ses découvertes. Après sa première nuit en Occident, elle réalisait le fossé qui existait entre les différents peuples de la terre. Ce qui confirme la citation selon laquelle : << Vérité au dessous des Pyrénées, erreur au-delà. >> Cela tend à dire que les cultures varient d’un lieu à un autre et que c’est d’ailleurs le changement qui amène l’homme à se poser des questions.
Ken ne tardait pas à découvrir la ville où elle vivait et à marcher dans les rues. Elle se désole car elle constate qu’il n’y a pas une concordance entre les diverses pratiques : << Et pourquoi ne me saluaient- ils pas ? Même entre eux, ils ne se saluaient pas ! Je ne comprenais vraiment pas.>> p 56.
Elle exprime également son étonnement encore plus grand. Mais avoue avoir retenue la leçon. Car elle finit par comprendre qu’il fallait qu’elle apprenne à s’adapter : << Eux marchaient vite, mais moi je courais.>> p 58. Vivre à l’extérieur, malgré le fait que cela vous transforme, cela ne peut au grand jamais changer vos valeurs.
Ces dernières expliquent l’auteure, constituent ce qui fait notre essence: << Saluer, en dehors d’être une politesse, permettait de se replacer dans une dimension humaine.>> p 102. Les expériences de l’auteure dans l’œuvre, ont contribué à son édification et à sa maturité intellectuelle. Il faut dire que Ken Bugul apprend que la vie doit être perçue comme une école à laquelle chacun devrait se laisser s’instruire.
La notion de liberté ou du moins le concept de liberté est un concept cher à l’homme. Elle constitue en quelque sorte ce qui le définit. Mais l’approche ou la vision de Ken sur la liberté est plus évocatrice et réflexive. On peut comprendre cela à la page 103 du roman lorsque l’auteure déclare : << Pousser à la liberté, ne rendait pas libre, enlever les chaînes au prisonnier n’était pas lui donner la liberté. La liberté c’était la paix.>>
La liberté, c’est la paix apprend Ken Bugul. Cependant à travers son récit on aperçoit que les hommes courent leur vie durant après cette paix, après cette liberté. Sinon qu’est-ce qui pouvait expliquer que malgré le fait même qu’elle vivait en Occident comme elle le voulut, elle n’était pas véritablement heureuse ?
La réponse est simple, c’est parce qu’elle n’avait pas la paix. La quête de cette paix qu’elle recherchait tant, s’exprime à travers son errance, ce permanent sentiment d’être une déracinée. C’est d’ailleurs cette quête qui la poussa à plus apprendre de la vie, mais également à déconstruire ses pensées, à affronter ses peurs et à se dépasser.
Durant son séjour en Belgique, l’auteure dit que sa vie ne fut pas rose mais teintée de la plus grande partie d’une soif de l’origine. Les cultures ainsi que les réalités malgré leur diversité contribuent tous à la formation de l’être. Le noir apprend l’auteure dans son œuvre à un sens de la souffrance.
Il est cet être là qui sait faire face à la vie d’une manière qui lui est propre. À travers la colonisation qui a transformé pour toujours le destin de l’homme noir, il se sent encore plus faisant partie intégrante de la vie. Et de ce point de vue, rien de ce qui est humain ne lui semble inaccessible.
Comme le dit si bien un auteur : << Je suis un humain et rien de ce qui est humain ne m’est étranger.>> Il est possible de dire que de la même manière que Ken Bugul nous présente l’homme noir au chœur des aléas de la vie. Elle nous explique cela à travers le personnage de Souleymane : << Ah ! l’homme noir, comme il savait supporter les coups durs comme s’ils faisaient partie intégrante de sa vie.>> p 110.
À travers son roman, Ken Bugul ne cesse de montrer la brutalité ainsi que la mélancolie dans laquelle plonge la mort d’un être cher. La plupart des êtres et pourquoi ne pas dire tous les êtres sont souvent marqués par la perte d’un être qui leur est cher.
Et la mort comme l’explique Ken Bugul est la finalité commune des hommes. Elle est ce vers quoi nous tendons tous. On peut lire cela dans les propos de Ken Bugul après l’annonce du décès du père de Ken : << Au-delà des divergences de la vie, la mort nous liait, par son immunité. >> p 113.
Pendant son séjour en Belgique, l’auteure apprend que la haine n’est pas l’apanage d’un peuple. Mais elle est plutôt une réalité omniprésente parmi les hommes. Parlant de haine, Ken Bugul dit surtout de par son expérience que la haine des Blancs envers la femme noire est vraiment grande. Et encore plus frappante celle des femmes blanches envers les femmes noires.
Pourtant il s’agit du même sexe et si l’on considérait la différence de peau comme accidentelle, les femmes devraient mutuellement se soutenir. Malheureusement Ken fait un désolant constat dont elle nous fait part à la page 121 de l’œuvre :
<< Les femmes se haïssent, se jalousent, s’envient, se fuient. Elles ignorent qu’il n’y a pas << des femmes >>, il y a seulement la femme. Elles devraient se retrouver, se connaître, s’imprégner. Elles ont des choses à se dire puisqu’elles sont toutes semblables. Se libérer n’est pas se détacher de ses semblables pour chercher l’amitié, la compagnie des hommes.>>.
Ken Bugul relate dans Le Baobab fou, sa vie mais aussi interpelle la conscience sur les réalités de notre monde actuel. La colonisation, l’esclavage et toutes les formes de pratiques dégradantes annihilant la dignité de l’humain sont des facteurs qui ont contribué à plus plonger l’Afrique.
L’indépendance pour Ken Bugul n’a en rien contribué au redressement de l’Afrique. Elle appelle les uns et les autres à se ressourcer afin de mieux être en communion avec nous-mêmes. Elle affirme à la page 177 que : << Nous vivions seulement étrangement sans être bien sûre de ce que nous étions. >> .
Présentation de l’ouvrage et impressions
Le Baobab fou de Ken Bugul se présente sur un fond blanc dont la première de couverture comporte l’illustration d’un baobab. Ce baobab est représenté avec des ombres vertes. En premier lieu, on lit le nom de l’auteur suivi du titre de l’œuvre et en bas de cette page la maison d’édition. La quatrième de couverture quant à elle, nous présente un bref résumé de l’œuvre qui a été faite par Nathalie Carré.
Le titre : Le Baobab fou à première vue, paraît insignifiant. Mais après analyse, on peut se dire qu’il s’agirait peut-être d’une personnification. C’est ce caractère là même qui pousse le lecteur à chercher à comprendre ce que dissimule l’auteur sous ce titre. Ce titre qui frappe mais qui pousse également à des interrogations.
Le Baobab fou de Ken Bugul est constitué de deux grandes parties à savoir : la pré-histoire de Ken et l’histoire de Ken.
Dans la première partie, Ken raconte son enfance et décrit également la profondeur des relations qui le liait à sa famille, son village mais surtout le grand Baobab. Ce baobab séculaire à qui elle confiait sa solitude. On peut dire que cette partie aide à mieux connaître nos origines. Mais également elle nous montre la valeur indéniable du concours de la mère dans l’éducation de son enfant.
Ken Bugul dans la seconde partie du roman, intitulé Histoire de Ken, l’auteur raconte sa vie. Elle veut se faire voir plus clairement. Mieux, elle s’ouvre au lecteur afin qu’il découvre le jalonnement de sa vie, son histoire.
Le Baobab fou est écrit dans un style agréable, souple et doux. L’usage des figures de style, des proverbes africains ainsi que l’aspect bucolique de son village natal tel que décrit par l’auteur est impressionnant. Impressionnant parce que cette œuvre ne donne pas l’impression et ne laisse pas voir qu’il s’agit d’une œuvre d’entrée dans le monde littéraire.
Toutefois, l’on ne saurait en tenir rigueur à l’auteur des quelques imperfections qui se retrouvent dans l’œuvre. Notamment l’organisation des dialogues dans l’ouvrage laisse encore à désirer sans oublier la chronologie du discours.
Bref aperçu sur l’auteur
Ken Bugul, pseudonyme de Mariètou Mbaye Bileoma, née en 1947 à Malem-Hodar, dans la région de Kaffrine, est une femme de lettres sénégalaise. En wolof, Ken Bugul signifie « celle dont personne ne veut ».
Bibliographie
1984 : Le Baobab fou
1994 : Cendres et Braises
1999 : Riwan ou le Chemin de Sable, Grand prix littéraire d’Afrique noire[9].
2000 : La Folie et la Mort
2003 : De l’autre côté du regard
2005 : Rue Félix-Faure
2006 : La Pièce d’or
2008 : Mes hommes à moi
2014 : Aller et Retour
2014 : Cacophonie
2022 : Le Trio Bleu
Régis Mahougnon HANTAN est poète slameur, écrivain, flûtiste, rédacteur web et chroniqueur littéraire à L’ivre du livre. Il est également philosophe de formation à l’université d’Abomey Calavi ( UAC ).