‘’En matière de distribution de livres, je ne sais pas si réellement il y a des initiatives gouvernementales dignes du nom. Le Salon du livre, est certes, une initiative de promotion de livres mais les quelques maisons d’édition sont livrées à elle-même dans leur bataille. Les auteurs publient généralement à leur compte donc les maisons d’édition sont presque, juste à but lucratif, car elles retournent à l’auteur sa publication pour la distribution. L’auteur doit aller traiter avec les librairies qui elles aussi semblent être que des magasins de vente sans réel plan de promotion.”
Béatrice ATCHADE (BA) épouse OROU INA est bibliothécaire de formation. Formée à l’UAC, elle exerce en tant que bibliothécaire depuis 2003. Elle est l’actuelle responsable de la médiathèque de l’institut français de Parakou. Dans cette interview, elle parle des actions menées par la médiathèque de l’institut français dans la promotion du livre.
Section 1 : Missions et fonctionnement de la médiathèque
LDL : Béatrice ATCHADE, vous êtes Médiathécaire à l’Institut Français de Parakou. Pour le plaisir de nos lecteurs, dites-nous en davantage sur vous ?
BA : Bonjour ou Bonsoir chers lecteurs. Je suis Béatrice ATCHADE épouse OROU INA, mère d’un enfant. Je suis diplômée de l’Ecole d’Administration et de Magistrature (ENAM-UAC), plus précisément le CeFoCI (Centre de Formation aux Carrières de l’Information) également dénommé STID (Sciences et Techniques de l’Information Documentaire) depuis 2002. Après plusieurs stages bénévoles j’ai été recrutée en tant que documentaliste au Centre Songhaï de Porto-Novo de 2003 à 2005 puis assistante de direction et archiviste dans une imprimerie à Cotonou de 2006 à 2009, avant de faire mes preuves au Centre culturel français de Cotonou depuis septembre 2009 avant de venir à Parakou. Aujourd’hui le Centre culturel français est connu sous la dénomination Institut français du Bénin et je suis la responsable de la médiathèque depuis septembre 2017.
J’ai aussi suivi des formations continues professionnelles dont la plus longue (toute une année académique), Médiadix, est un DUT (diplôme universitaire technique) en bibliothéconomie à l’université Paris X Nanterre.
Outre mon diplôme technique en bibliothéconomie, j’ai aussi une licence en linguistique anglaise appliquée depuis 2015 (FLASH-UAC) et une autre en Français langue étrangère (FLE, Université de Rouen, France) cette année.
Je suis passionnée de lecture, de tourisme découverte et un peu de cinéma.
LDL : Pouvez-vous nous parler des missions principales de la médiathèque de l’Institut Français de Parakou ? Quels sont les services que vous offrez à la communauté locale ?
BA : Lieu de culture, de loisirs et d’études, la médiathèque de l’Institut français est un acteur essentiel de la politique littéraire française mais aussi locale. Elle met l’accent sur l’actualité littéraire, la France contemporaine et la francophonie grâce à sa variété de supports imprimés et numériques. Elle est investie d’une mission de service public donc accueille tout le monde sans distinction. Nous apportons un soutien scolaire aux apprenants et une base littéraire couvrant la plupart des sujets de la vie à tout usager.
Nos services :
– consultation sur place et prêt de documents,
– diverses animations (cinéma, jeux vidéo, jeux de société, exposés, cafés et causeries littéraires, activités numériques, spectacles, etc),
– bibliothèques virtuelles complétant celle physique : Culturethèque, Cairninfo
– connexion wifi, ordinateurs et tablettes connectés pour la formation et la recherche,
– activités hors les murs,
– renseignements : campus France, Centre de langues.
Je me dois d’en dire un peu plus sur ces deux autres composantes de l’Institut français :
* Campus France est une plateforme dédiée aux universités françaises. C’est une interface qui répertorie les universités françaises ainsi que des informations à l’endroit de ceux qui veulent continuer leurs études en France. Campus France c’est aussi une procédure en 8 étapes aboutissant à l’obtention d’un visa français étudiant si le candidat franchit avec succès chacune des étapes. Ainsi il peut s’envoler vers la France avec des papiers en règle.
* le Centre de langue quant à lui offre des cours de langue français selon le Cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL). Les langues européennes sont échelonnés sur 3 niveaux subdivisés chacun en deux : A (A1 ; A2) – B (B1 ; B2) – C (C1 ; C2). L’institut français est donc un centre agréé pour délivrer des attestations telles que le DELF (Diplôme d’Etude de la langue française), le DALF (Diplôme Approfondi de la langue française), le TEF (Test d’Etude du français), le TCF (Test de Connaissance du français). Ces attestations font respectivement partie des dossiers de demande de visa vers la France ou le Canada. Il est bon alors pour toute personne ayant des projets d’immigration vers ces pays, de passer le test au plus tôt sachant que le DELF – DALF est à vie mais le TCF – TEF à une validité de deux ans.
LDL : Comment fonctionne la médiathèque au quotidien ? Comment les lecteurs accèdent-ils aux ressources et aux activités proposées ?
BA : Au quotidien, nous sommes ouverts les mardis, jeudis, vendredis de 11h à 18h et les mercredis et samedis de 10h30 à 18h30 en continue. Nous proposons un programme d’animations trimestrielles se déroulant, à priori, les mercredis et les samedis à 16h.
Pour s’inscrire, il faut prévoir une photo d’identité, la photocopie d’une pièce d’identité valide et les frais d’inscription selon la tranche d’âge, à savoir :
– 5 à 12 ans : 1 500 FCFA
– 13 à 26 ans 2 500 FCFA
– à partir de 27 ans : 3 500 FCFA
– groupe d’au moins 20 scolaires* : 1 000 FCFA par personne
* Cette formule spéciale pour les écoliers, élèves et étudiants est pour leur faciliter l’accès à notre médiathèque : il s’agit de l’inscription collective. Avec cette dernière, quelle que soit votre tranche d’âge, vous payez 1 000 FCFA, la seule contrainte étant de s’organiser en groupe de minimum 20 personnes.
LDL : En tant que médiathécaire, quelles sont vos responsabilités et votre rôle dans la promotion de la lecture et de la culture au sein de la communauté ?
BA : Ma responsabilité consiste à sélectionner et acquérir des livres pour la médiathèque, traiter ces livres en vue de les mettre à la disposition des usagers, proposer des activités innovantes et attrayantes, aller au contact des potentiels usagers. A cet effet, à chaque rentrée, je sillonne des écoles, collèges, lycées et universités afin de faire connaitre la médiathèque de l’Institut français et sensibiliser à la lecture. J’essaye également de rencontrer les parents d’élèves pour les gagner à la cause de la lecture.
Pour la promotion de la lecture, nous nous adressons au prime abord aux apprenants du primaire jusqu’à l’université, couche de la société la plus concernée par la problématique de lecture. Ceci n’exclut pas les autres couches, bien sûr ! Nos animations sont les principaux appâts pour proposer nos ouvrages. Il est démontré qu’à travers le ludique, l’éducatif passe mieux. Ainsi de septembre à décembre, nous permettons à tout usager d’avoir accès gratuitement à la médiathèque pour une consultation sur place et la participation aux animations. Après ce trimestre, les intéressés sont invités à s’abonner enfin.
Nous avons fait un immense effort dans l’acquisition de manuels et œuvres au programme, ainsi que d’ouvrages africains afin de mieux répondre à la demande de notre public.
Section 2 : Projets et initiatives
LDL : Pouvez-vous partager des informations sur les projets actuels ou à venir de la médiathèque de l’Institut Français de Parakou ? Y a-t-il des événements ou des programmes spéciaux dont vous aimeriez parler ?
BA : Les bienfaits de la lecture, bien qu’étant scientifiquement prouvés, laissent pourtant bon nombre indifférents et l’avènement des réseaux sociaux n’arrange pas la situation.
Disposant d’une console de jeux et de jeux de sociétés, nous souhaitons organiser des tournois. Tout ludophile peut déjà se rapprocher de nous afin d’en savoir plus.
Déjà, le projet Parakou vacances Yes, initié par mon collaborateur depuis deux ans, draine du public. Ce projet propose des activités ludo-éducatives aux enfants de 5 à 17 ans dans nos locaux pendant les mois de juin et juillet. Ils viennent pour s’occuper pendant leur vacance et s’inscrivent, par la même occasion, à la médiathèque.
LDL : Comment la médiathèque s’engage-t-elle dans la promotion de la littérature béninoise et des écrivains locaux ? Existe-t-il des initiatives spécifiques en ce sens ?
BA : En 2021, nous avons initié le creuset des auteurs et acteurs littéraires de Parakou. Cette association permet de fédérer nos efforts dans la promotion de la lecture car c’est une lutte de longue haleine. A l’issue de notre première rencontre, des initiatives ont été prises telles que :
– l’organisation d’une mini foire du livre
– des concours littéraires sur les œuvres de certains auteurs, en leur présence (lecture à haute voix, dictée, lecture scénique, etc)
– rencontre avec des auteurs
– lancement de livres
– vulgarisation de livres des auteurs locaux par leur mise en valeur dans nos rayons, etc
Section 3 : Partenariats et collaboration
LDL : Les partenariats jouent souvent un rôle clé dans le succès des institutions culturelles. Pouvez-vous nous parler des partenariats que l’Institut Français de Parakou a établis avec d’autres organisations, écrivains ou institutions locales ?
BA : Nous collaborons beaucoup avec l’université de Parakou. Nous avons déjà exécuté un certain nombre d’animations conjointes. Le CAEB n’est pas du reste, nous échangeons beaucoup avec le responsable M. Didier VOITAN, prix du meilleur bibliothécaire AIFBD 2023 que nous félicitons encore ici. Certainement, un de ces jours, un projet verra le jour. Nous avons déjà pensé au prêt inter bibliothécaire ou des projets culturels conjoints.
LDL : Comment ces partenariats et collaboration contribuent à l’émergence du livre dans la cité des Kobourou et dans la partie Nord de manière générale ?
BA : Nos différentes connexions ont tissé un réseau qui nous permet par exemple de proposer un fonds plus riche. En effet, un usager fréquentant l’une des bibliothèques peut aussi être orienté vers une autre afin de satisfaire une demande non aboutie. Les usagers des différentes bibliothèques peuvent également profiter des activités de n’importe laquelle du réseau et tout au moins la lecture sur place.
Section 4 : Les politiques nationales de distribution de livres
LDL : Comment percevez-vous les politiques nationales de distribution de livres au Bénin ? Existe-t-il des initiatives gouvernementales visant à encourager la lecture et à soutenir les bibliothèques et médiathèques ?
BA : En matière de distribution de livres, je ne sais pas si réellement il y a des initiatives gouvernementales dignes du nom. Le Salon du livre, est certes, une initiative de promotion de livres mais les quelques maisons d’édition sont livrées à elle-même dans leur bataille. Les auteurs publient généralement à leur compte donc les maisons d’édition sont presque, juste à but lucratif, car elles retournent à l’auteur sa publication pour la distribution. L’auteur doit aller traiter avec les librairies qui elles aussi semblent être que des magasins de vente sans réel plan de promotion.
Il n’existe pas non plus d’écoles offrant des formations au sujet de la chaîne du livre ce qui laisse la place à un grand bazar dans le domaine. Je ne sais s’il sera possible de réglementer cette filière un jour, mais je sais qu’elle en a grand besoin.
LDL : Avez-vous des propositions pour une (ré)organisation de la diffusion et de la distribution du livre au Bénin ?
BA : la promotion du livre devrait passer par l’installation de bibliothèques de lecture publique. A ce jour, nous comptons la bibliothèque nationale mais les bibliothèques départementales ne sont pas fonctionnelles et celle municipales n’existent pas.
Les premiers lieux par excellence, où les bibliothèques sont de mise, ce sont dans les écoles, collèges, universités et autres centres de formation. Mais nous savons que tous nos établissements n’en disposent pas et celles qui en disposent ont des fonds vieillissants ou inadéquats. Ceci interpelle nos autorités gouvernementales qui ont l’obligation de promouvoir la lecture, socle d’un pays développé. En inculquant la culture de la lecture aux plus jeunes citoyens, nous aurons des cadres aptes à participer à l’émergence de notre pays. Et ceci doit se passer déjà dans les maternelles et primaires. Des tranches horaires doivent être dédiées à la lecture dans une bibliothèque en bonne et due forme.
En somme, le gouvernement doit penser à une bibliothèque dans le plan de construction de toute nouvelle école. L’étude des livres au programme doit être effectif, on doit encourager des clubs de lecture, initier des ateliers d’écriture… Les enfants acquis à la cause de la lecture seront des adultes consommateurs de livres pour le bonheur de ce secteur.
Section 5 : Votre parcours et votre passion pour les livres
LDL : Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce qui vous a inspiré à devenir médiathécaire ? Qu’est-ce qui vous passionne le plus dans votre travail ?
BA : je suis devenue bibliothécaire par la force des choses mais je ne regrette pas ce coup du destin. J’ai toujours aimé lire ; je me souviens que je quittais les cours pour aller lire dans la seule bibliothèque de la ville de Kandi qui était à mi-chemin entre mon établissement et la maison où nous habitions. J’étais en 6è. Il m’arrivait même d’escalader le mur d’enceinte de notre concession pour aller à la bibliothèque. Aujourd’hui je porte des lunettes parce que je lisais beaucoup avec une lumière inappropriée.
Bref, après mon bac, j’ai passé le concours d’assistante sociale, métier qui me faisait rêver mais j’ai échoué. Il fallait quitter Parakou pour Cotonou où il était encore possible de passer les tests d’une même teneur que les concours mais n’octroyant pas de bourse. J’ai donc repasser le test d’assistance sociale mais aussi celui de la STID, sur conseil d’un oncle qui m’a dit qu’il fallait multiplier les cordes de mon arc. Aux résultats, j’ai été admise aux deux tests mais les contraintes d’habitat et de déplacement m’ont fait définitivement choisir la STID. C’est ainsi que je deviens bibliothécaire.
Ce qui me passionne le plus, c’est que je suis dans un métier qui est au cœur du savoir. Les livres regorgent de connaissances utiles dans le parcours de tout être humain, quel que soit son domaine. Le bibliothécaire n’est pas omniscient mais il aura plus de facilités à répondre aux sollicitations des usagers ou à les orienter dans leurs quêtes. Et comme on dit : « Qui a l’information, a le pouvoir »… comprenne qui peut !
LDL : Vous avez une formation en linguistique anglaise. Comment cette formation a-t-elle influencé votre travail en tant que médiathécaire ?
BA : l’anglais est l’une des langues les plus parlées au monde et beaucoup d’informations sont contenus dans des livres scientifiques qui ne sont pas souvent traduits. Et dans le domaine de la bibliothéconomie, le monde anglophone est beaucoup plus évolué que celui francophone. Depuis 1876 Melvil Dewey, un bibliographe américain, a mis en place un système de classification de livres que nous utilisons aujourd’hui dans la plupart des bibliothèques du monde. Vous comprendrez donc que certains ouvrages professionnels sont en anglais et l’avantage que j’ai d’avoir étudier cette langue me facilite leur étude.
En outre, il nous arrive d’avoir des visiteurs anglophones avec lesquels je peux interagir facilement. Parfois ce sont des projets qui nous obligent à rédiger en langue anglaise ou nous déplacer dans des pays anglophones. En somme la langue anglaise même si elle n’influence pas directement mon travail m’aide énormément dans cette profession.
Section 6 : L’oralité et la culture au Bénin
LDL : Au Bénin, l’oralité joue un rôle significatif dans la transmission de la culture. Comment percevez-vous la place des livres dans une société où l’oralité est si importante ? Comment les livres peuvent-ils compléter cette tradition orale ?
BA : c’est vrai que les cultures africaines sont dites orales toutefois, ne négligeons pas le fait que l’Egypte fait partie des premiers berceaux de l’écriture. Ce qui sous-tend que d’une manière ou d’une autre, les peuples africains avaient leur écriture, parfois encodée dans des pictogrammes, les arts rupestres et autres. Nous n’avons pas toujours le ’’décodeur’’ de cette écriture, raison pour laquelle nous continuons de parler d’oralité. Et aussi, nos historiens et autres sociologues, écrivains font ce merveilleux travaillent de consigner notre histoire, notre culture par écrit. Ceci démontre la continuité de l’oralité dans l’écrit, je ne parlerai donc pas de complémentarité. Aujourd’hui, les livres de contes, de médecine traditionnelle ou de spiritualité endogène, comme on dit, foisonnent. Or on sait que ce sont là des domaines de l’oralité par excellence. Par conséquent le terme orature, initié par les gens de lettres africains et très utilisé par M. Gratien AHOUANMENOU, chercheur indépendant en histoire et savoirs d’Afrique, illustre cette continuité de l’oralité dans l’écriture.
LDL : Quelles sont vos ambitions en tant que médiathécaire et votre vision pour la médiathèque de l’Institut Français de Parakou ?
BA : Ma principale ambition est d’avoir une jeunesse intéressée par la lecture. A ce propos, nous invitons les parents à les accompagner. Nous disons facilement que les jeunes ne lisent pas alors que les adultes même sont absents dans les bibliothèques. Le jeune a besoin de modèle ; comment voulez-vous donc qu’il prenne un livre quand il ne voit personne dans son entourage en faire autant ?
Ce questionnement m’emmène à me projeter dans une vaste campagne de sensibilisation, en collaboration avec d’autres bibliothèques de la ville de sorte que nos espaces deviennent exigus pour accueillir la foule désormais bibliophile.
LDL : Nous sommes à la fin de cet entretien. Merci beaucoup, Béatrice ATCHADE, pour votre temps et pour avoir partagé votre expérience précieuse en tant que médiathécaire au Bénin. Avez-vous un mot pour conclure cet entretien ?
BA : Je tiens à exhorter, par ce canal, les adultes à tous les niveaux à accompagner notre jeunesse. Inscrivez les dans un centre de lecture, c’est bénéfique pour eux. Francis Bacon a dit : « La lecture apporte à l’homme plénitude, le discours assurance et l’écriture exactitude. » Et il parait que les riches ont une bibliothèque plutôt qu’une télé. Alors priorisons la lecture pour un meilleur monde et une meilleure vie.
LDL : Merci !