Nous avons le plaisir de nous entretenir aujourd’hui avec Didyer Mannette(DM), un écrivain guadeloupéen passionné. Il a apporté une nouvelle dimension à la langue créole à travers ses œuvres poétiques. Didyer Mannette est également éditeur et travaille avec la maison d’édition de livres audios « Une Voix, Une Histoire, » où il a donné vie à ses poèmes en créole sous forme de livres audio. Dans cette interview, nous plongerons dans son univers littéraire, son engagement envers la langue créole et son regard sur la littérature guadeloupéenne.
LDL : Didyer Mannette vous êtes poète, auteur de nombreux ouvrages dont Mwen enmé’w écrit en Créole et éditeur professionnel. Pouvez-vous nous en dire davantage sur vous ?
DM : Je pense que le mot passion me définit parfaitement, j’ai un amour inconditionnel pour les mots qui permettent de soigner les maux. La littérature et moi c’est une aventure qui dure maintenant depuis une quinzaine d’années avec la publication d’un premier recueil. A cela est venu s’associer un investissement important dans le mode littéraire avec la création d’évènements, de manifestations, de spectacles, d’associations et pour finir la création d’une maison d’Éditions : Les Éditions Nèg Mawon. Je suis engagé avec cette volonté ferme que chaque enfant d’ici et d’ailleurs puisse avoir une bibliothèque…
LDL : A quand remonte votre premier contact avec la poésie et plus généralement les belles lettres et quels sont les auteurs qui vous ont le plus inspiré ?
DM : La littérature est souvent liée à des rencontres, je pense que la croisée de ma route des mots c’était au lycée, il y avait Damas, Césaire, Delcham, Condé… des gens, des auteurs qui avaient la particularité de me ressembler et d’écrire mon pays, mon île, ma culture et aussi ma couleur.
Cependant rétrospectivement je pense que la beauté des mots faisait dès mon enfance partie de mon monde.
LDL : Pouvez-vous nous parler de votre recueil de poèmes « Mwen enmé’w » et de ce qui vous a inspiré à l’écrire ?
DM : La langue guadeloupéenne ou plus largement le créole est un hymne à la liberté, du combat d’un peuple et la musique de l’âme pour exister et se créer au-delà de l’oppresseur. Aussi, cette langue a que de fois subi des attaques, si bien que pour certains il ne peut exprimer l’amour. Aussi cet ouvrage est un chant poétique pour montrer la langue et dire comment il peut exprimer le sentiment le plus noble, celui de l’amour, et cela en rajoutant chaque ingrédient avec volupté.
LDL : Comment décririez-vous le rôle de la langue créole dans votre travail littéraire, en particulier en ce qui concerne l’expression des émotions et des sentiments ?
DM : La langue fait partie de l’individu, c’est notre sang, c’est aussi et surtout un héritage. Et ce bien précieux doit être sauvegardé et être fructifié c’est là mon apport, mon travail. J’écris la langue qui pour rappel à la base est essentiellement orale comme toutes les langues depuis la nuit des temps et je tends à l’utiliser avec noblesse. Cette langue a de magique qu’à chaque évocation c’est la photo d’une situation qu’elle exprime, aussi pour dire l’amour c’est un flux, un torrent qu’elle exprime en rajoutant couleurs, épices et goûts. Parler d’amour en créole c’est être soi, être naturel et entier.
LDL : Votre recueil « Mwen enmé’w » est passé du format écrit au livre audio. Pourquoi avez-vous décidé de faire cette transition et comment cela a-t-il enrichi l’expérience de vos lecteurs/auditeurs ?
DM : C’est avant tout une complicité avec Une voix-une histoire. Cette société que j’apprécie fait un excellent travail et répond souvent à ceux qui disent je ne sais pas lire le créole et ben écoutez donc ! Aussi c’est un complément intéressant pour le lecteur, lire le livre, écouter l’auteur dire le texte, c’est autant d’informations, de soupirs, de résonances, qui vont enrichir l’appréciation de l’œuvre. Indéniablement c’est un complément à l’œuvre.
LDL : Pouvez-vous partager quelques-unes de vos poésies en créole avec nous et expliquer le sens et les émotions qui se cachent derrière elles ?
DM :
Doudou
An pé pa obliyé
Sé té prèmyé fwa
I té ja minui
Lannuit té ja antòtyé nou
Si a pa vou
Si a pa mwen
Sé lalin tousèl ki ké pé rakonté
Lidé a-w é lidé an-mwen té ja dakò
Kò a-w té ka kriyé tan-mwen
Yo kuit on tipla sikré
Pou mwen ou té pli bon manjé ki ni
Sikré kon miyèl
Dous kon sapoti
kò a-w vin vòlkan
Souf a-w vlopé souf an-mwen
Nou vwayajé pli lwen ki lalin
Lavi vin on paradi
Lè arété vansé
Zyé a-w étenn
Zyé an-mwen fèmé
Sonmèy chayé nou an lankwagni a bonè
Sé té prèmyé fwa…
Ce texte évoque avec subtilité la première fois d’un couple… « Je ne peux pas oublier, c’était la première fois, si toi tu ne racontes pas, si moi je ne raconte pas, seule la lune peut raconter. » Ce poème évoque la nature riche de l’île avec la chaleur du volcan, le mélange qui fabrique un bon repas, le plaisir que de déguster nos fruits et il dit le bonheur.
POU VOU
Zorèy an-mwen ka chèché onsèl son sé vwa a-w,
Bouch an-mwen ka chèché onsèl gou sé lèv a-w,
Zyé an-mwen ka chéché onsèl pòtré sé figi a-w
Né an-mwen ka chèché onsèl lòdè sé losyon a-w
Men an-mwen ka chèché onsèl fòm sé kò a-w
an touvé tousa jou-la kè an-mwen touvé kè a-w
é i di : Sé vou a pa p’on dòt !!
Les vers c’est la musique des cinq sens qui chante le bonheur de se consacrer à un seul être. « Mes oreilles ne cherchent qu’un seul son c’est ta voix ; Ma bouche ne cherche qu’un seul goût, le goût de tes lèvres ; Mes yeux ne cherchent qu’un seul visage c’est le tien …. Le jour où mon cœur a trouvé ton cœur il a crié : C’est toi ce n’est personne d’autre. »
« Sourire » j’ai ce sourire parce que j’avoue que la poésie créole est difficile à traduire. En effet le guadeloupéen fait appel à l’âme et chaque mot est ancré en profondeur, plus que des mots, il faudrait traduire des émotions, des ressentis culturels.
OU TÉ KÉ
An té ké on pent pli bèl pòtré an té ké pé fè,
sé ta vou pa ni pli bèl,
an té ké chantè asi onsèl mizik an té ké chanté
sé si tanmpo a kè a-w,
pa ni pli bèl,
An té ké makè anlè onsèl papyé an té ké maké sé kò a-w,
pa ni pli bèl…
Traduire … euh… juste un vers « Si j’étais écrivain, j’écrirais sur une seule feuille, c’est ton corps, il n’y a rien de plus beau. »
LDL : Parlez-nous de votre collaboration avec « Une Voix, Une Histoire » pour la création de livres audio en Créole. Comment cette collaboration est-elle née et quel impact a-t-elle eu sur votre travail ?
DM : Cette collaboration est née d’une rencontre, celle avec la directrice de la société : Une voix – une histoire. Nous avons en commun la volonté de contribuer à faire vivre au-delà de nous, la littérature antillaise, caribéenne. Une littérature nourrie d’une histoire unique sur cette planète et qui a tant de choses à apporter. La collaboration est donc un enrichissement, l’audio permet de s’adresser à des « lecteurs » qui ne pourront jamais lire un livre. Et dans notre monde où nous n’avons plus de temps, le livre audio crée du temps utile.
LDL : Quelle est, selon vous, l’importance de préserver et de promouvoir la langue créole dans la littérature guadeloupéenne et caribéenne en général ?
DM : Ce n’est pas simplement de l’importance c’est essentiel et j’irai plus loin je dirais c’est vital. La langue est une partie de l’individu, le créole plus que la simple expression verbale est une histoire qui est un élément clé d’une identité. On parle, on mange, on vit, on marche, on « tchip », on respire avec notre spécificité créole et ceci que l’on soit francophone, hispanophone, anglophone, lusophone… La disparition du créole serait la disparition de l’ haïtien, du martiniquais, du guadeloupéen et autres. Donc, intégrer la langue dans le livre c’est l’inscrire dans le marbre, c’est lui donner ses lettres de noblesse… sa place légitime de LANGUE !
LDL : En tant qu’écrivain et poète passionné, comment voyez-vous l’avenir de la littérature guadeloupéenne, en particulier en ce qui concerne les livres audio ?
DM : Je suis si confiant en l’avenir. C’est tous les jours que je croise de nombreux auteurs talentueux. En papier ou en audio, ce sont des auteurs que le public d’ici et d’ailleurs doit rencontrer. L’audio associé à la nouvelle technologie se résume à un clic alors j’invite les gens d’ici et de partout à faire ce clic pour un voyage, pour une découverte. Le livre audio fait partie de l’avenir du livre.
LDL : Pouvez-vous nous parler de vos projets littéraires futurs, notamment ceux qui mettent en avant la langue créole et la culture guadeloupéenne ?
DM : Comme nombre d’écrivains, il y a de nombreux projets de livre en cours. Je vais poursuivre mes proses, mes mots, mais aussi la création de supports culturels à destination des scolaires. Être lu par un enfant reste c’est toujours une graine lâchée sur une terre sauvage, un jour on dégustera peut-être un fruit savoureux.
Merci !
Un auteur attaché à sa racine