Le réalisme politique machiavélique n’est pas qu’une théorie. Il est le quotidien de tous les peuples africains. C’est l’oppression que subit chaque citoyen sous les jougs du dirigeant qu’il a pourtant lui-même porté au pouvoir. On le sait, Daté Atavito Barnabé-Akayi, puisque c’est de lui qu’il s’agit, est un observateur aguerri de son temps, épris de la condition de l’exercice du pouvoir politique en Afrique en général, puis dans son pays en particulier.
Alors que Les confessions de Pr font encore l’écho dans nos cœurs, l’enseignant béninois qu’on ne présente plus est revenu avec la même fougue littéraire. Cette fois-ci pour mettre à nu, dans sa pièce théâtrale Le chroniqueur du Pr, les hics politiques dans un pays gangrené par la force, l’assassinat et le sang.
Paru aux éditions Plumes Soleil, cet ouvrage a vu le jour dans un contexte de tourbillon politique. En effet, Le chroniqueur du Pr a été publié en novembre 2016, au moment où le pouvoir politique, que dis-je, les fesses de la rupture se réajustaient encore dans le fauteuil présidentiel dans cette République gouvernée par un Éléphant. Mais là n’est pas la question. En tout cas, pas encore.
Daté Atavito Barnabé-Akayi, est un écrivain qui ose, avec une plume très provocatrice, écrire au-delà des sentiers battus. On l’aurait remarqué, à travers son ouvrage Les confessions du Pr publié six ans plus tôt par la même maison d’édition et qui met en scène un président de la république confessant ses péchés, sinon ses déboires.
Cet ouvrage même qui avait suscité d’énormes émeutes au point où certains ont demandé à l’écrivain de prendre la clé des champs pour sa propre sécurité. Mais alors que le pouvoir s’installait, avec opération déguerpissement, la voix des enseignants, fervent défenseur des opprimés, revient à la charge, déterminée à penser comme tout citoyen la politique de ce pays qui lui est si cher, avec Le chroniqueur du Pr.
Sur 81 pages, l’auteur dépeint une panoplie de thématiques se rapportant toutes à une thématique mère : la politique. L’ouvrage est composé de deux grandes parties, toutes deux animées par deux personnages qui sont des journalistes, collègues, amis et frères. Dans un dialogue pédagogique, l’auteur part de l’affaire empoisonnement du président sortant jusqu’à l’affaire 18 KG de cocaïne pure en passant par le K.O enregistré par le président entrant.
Ah, 18 KG de cocaïne pure, vous vous rappelez ? Non ? Et l’affaire d’empoisonnement du président dont le dossier a mystérieusement été classé et le présumé libéré ? ça non plus ? Bref. L’auteur a touché du doigt plusieurs pans de la politique de son pays.
Entre autres, il s’est intéressé à l’avènement du terrorisme, aux responsabilités des dirigeants et celles des électeurs, ces « peuples affamés… et paresseux qui élisent des brigands, … des trafiquants, des dirigeants au gant de sang ». Pour Daté, c’est un leurre de penser que c’est parce que nous sommes dans un pays rempli d’analphabètes que cette pratique, cette manière institutionnalisée avec laquelle le peuple élit ses dirigeants depuis des décennies peine à s’effriter.
Parce qu’« être analphabète, ce n’est pas être bête ! », l’auteur estime que certains ont voté parce que le « gars » a un conteneur rempli de milliards. Comme si une fois élu, on allait leur distribuer de butin. Seulement, il y a un mandat unique, qu’est-ce que je raconte, il y a sept ans, ils attendent que le conteneur d’argent soit ouvert.
Parce qu’il est un dictateur comme tous ceux qui l’ont précédé. À la différence qu’il est « un dictateur moderne et avancé », il n’a rien d’intelligent. Parce qu’être intelligent, selon l’auteur, « c’est avoir le sens de l’écoute ». D’autre, par contre, l’ont voté, juste pour « sanctionner » le président sortant. Au pays des aveugles, les borgnes sont rois, n’est-ce pas ? Génial !
En ce qui concerne la responsabilité des dirigeants, il est grand temps que nos présidents cessent de penser le fauteuil présidentiel comme un acquis « divin ». Parce que la gloutonnerie du pouvoir politique est un vice majeur qui maintient l’Afrique à l’état de minorité. Pour ce fait, l’auteur pense que l’éducation est la solution idéale.
Il faut, dit-il, « apprendre aux enfants dès leur bas âge, et ce, depuis le ventre de leur mère, qu’être président de la république n’est pas une fonction divine. C’est une question de responsabilités et du respect des textes » Lorsque « l’enfant est éduqué à considérer la gestion du pouvoir politique comme un service laïc et non comme un droit divin, il est soumis au respect de l’alternance au pouvoir qui sera inscrite dans les textes fondamentaux. ».
Mais comme le pense déjà le philosophe Feuerbach, « on pense autrement dans un palais que dans une chaumière ». L’interprétation que nous avons de la chose politique ou du politique lui-même diffère selon que nous sommes la victime ou le bourreau. C’est ce que tente de nous faire comprendre Daté par un revirement poignant au niveau de la deuxième partie de cet ouvrage.
En effet, ici, les discours ont changé lorsque les deux personnages, amis intimes et collègues journalistes, sont devenus l’un président de la République et l’autre le chroniqueur du président. Désormais, pour conserver son « honneur » et son pouvoir, le président est appelé à lutter contre son propre « frère », son ami intime qui, imbu de la vérité et attaché encore tant bien que mal à l’essence du journalisme, se pose en obstacle devant lui.
Il assassina toute sa famille et l’écarta, lui aussi de son chemin, parce que celui-ci, disposant d’assez de preuves de sa bestialité dans la gestion du pouvoir, constituait désormais un danger pour lui. Dans la postface de ce livre très instructif, l’éminent écrivain Florent Couao-Zotti le faisait déjà remarquer qu’il y a « d’un côté, le pouvoir vu de l’extérieur », celui-là qu’on s’empresse de critiquer, de décortiquer, de soumettre à l’expertise subjective.
Mais de l’autre côté, il y a « le pouvoir vécu de l’intérieur, avec sa violence, ses incohérences … ». Une chose est certaine, l’auteur nous appelle, vous, lecteurs et moi, à prendre nos responsabilités vis-à-vis de ce que l’écrivain béninois Ferdinand S. MISSENHOUN appelle le discours à la négative des hommes politiques. Et prendre nos responsabilités, c’est savoir choisir. Pas seulement parce que nos vies et celles de nos enfants en dépendent, mais surtout parce que le choix vaut la liberté.
Le chroniqueur de Pr est un ouvrage écrit à l’endroit d’un public bien déterminé. Malgré le style très souple avec lequel Daté Atavito Barnabé-Akayi peint la politique dans ce pays, il faut souligner qu’il faut être un lecteur averti, aux aguets de l’actualité, un lecteur qui n’a rien raté du journal de son temps pour bien cerner les situations caricaturées.
Il faut reconnaître la sagesse de l’auteur qui a bien fait de prendre par le théâtre pour dénoncer, comme à son habitude, la bestialité politique dans ce qu’elle a de plus âpre et de plus dangereux pour tous les pays africains. Cette analyse s’est attaquée uniquement à la politique. C’est un choix assumé.
Cela dit, le statut des enseignants, le terrorisme, la trahison, la manipulation et bien d’autres thématiques ont fait aussi état de discussion dans Le chroniqueur du Pr. Il revient à vous, lecteurs, d’entrer en contact avec cet ouvrage plein d’émotions et d’enseignements pour vous faire vos propres impressions.
Edmond BATOSSI
Étudiant inscrit en philosophie à la Faculté des Sciences Humaines et Sociales (FASHS) et en Droit à la Faculté du Droit et des Sciences Politiques (FADESP) à l’Université d’Abomey-Calavi.
Belle analyse .j’ai aimé ça
Cette analyse est époustouflante!
Elle met le lecteur en haleine et le condamne à chercher l’œuvre pour le lire. Bravo, très beau travail 👌
Merci cher ami. J’en suis honoré.❤️🙏
J’apprécie énormément ce que tu fais mon cher. Beaucoup de courage…😊
Merci beaucoup !
C’est moi qui te remercie cher ami pour le temps que tu consacres à mes analyses. Peace and love ❤️🙏