La folie et la mort est l’un des nombreux ouvrages de la femme de lettres d’origine sénégalaise Ken Bugul. Une autrice particulière pour un style particulier d’écriture, l’œuvre parle d’elle-même par un titre qui accroche et frappe l’œil. Bugul par l’usage de la prose, du dialogue et sa capacité de conteuse va transmettre des émotions aux lecteurs et lui faire en même temps vivre les évènements. ‘’La folie et la mort‘’ s’étend sur 235 pages et édité à « Présence Africaine ». Il a été publié en 2000 et la rédaction terminée à Porto-Novo, Kpota Sandodo, l’an 1999.
Résumé de l’ouvrage ‘’ La folie et la mort ‘’ de Ken Bugul
Après de longues études en ville, Mom Dioum revient au bercail après l’obtention de sa maîtrise. Un retour qui a surpris plus d’un. Car, pour les villageois, la ville est l’endroit où il fait bon vivre. Au même moment, le chef du gouvernement le timonier sort un décret invitant à tuer tous les fous qui raisonnent ou pas. Un décret pour montrer sa toute puissance et son intention de demeurer au pouvoir.
Au village, Mom Dioum avait une amie. Une amie d’enfance, Fatou Ngouye, qui n’ayant pas la même capacité intellectuelle que son amie, a vite fait de laisser les études à mi-chemin. Alors, un soir, Mom Dioum vient voir son amie pour lui faire part d’un projet. Un projet qui ne concerne qu’elle et elle seule.
Mom Dioum annonça à son amie Fatou Ngouye ‘’qu’elle veut se mourir pour renaître‘’. Un propos qui dans un premier temps étonna son amie qui chercha à comprendre le sens réel de ces paroles. Elle n’eut pas d’explication, pire Mom Dioum disparut dans la nuit noire sans demander son reste. Les tentatives entreprises par Fatou Ngouye pour la retrouver sont vaines.
Les parents ayant constaté la disparition de leur fille du domicile familiale depuis, vinrent s’enquérir de ses nouvelles auprès de son amie Fatou. Mais, cette dernière préféra se taire pour ne pas trahir son amie et aussi de prendre l’initiative de comprendre ses propos‘’ je veux me tuer pour renaitre‘’.
Les parents inquiets de la disparition brusque de leur fille, se sont dits qu’elle est peut être retournée en ville. Car, elle ne se retrouvait pas dans le confort du village. Mais sous l’insistance des parents, Ngouye révéla les propos de Mom Dioum à ses parents. Après maintes recherches on ne la trouva pas.
Les parents décidèrent alors d’envoyer Ngouye et Yoro un cousin de Mom Dioum en ville. D’abord pour la trouver, et aussi pour la raisonner. Que leur arrivera-t-il une fois en ville ? Mom Dioum a-t-elle quitté le village ? Quelle est la véritable histoire derrière le retour brusque de Mom Dioum au village ? Que veut dire mourir et renaître ?
Analyse de l’œuvre ‘’ La folie et la mort ‘’ de Ken Bugul
Cet ouvrage de Bugul bien qu’il soit une fiction dénonce tous les maux qui font obstacle au développement du continent noir. D’abord l’ouvrage commence par un certain communiqué fictif qui parle d’une fratricide qui a conduit à l’exode de plusieurs personnes dans les pays limitrophes. Au fil des lignes, l’auteur décrit un président qui se voit comme un dieu à la toute-puissance.
« le Timonier a exigé qu’il soit prononcé à chaque programme …» P.12. Au fur et à mesure que l’auteur raconte l’histoire, elle camoufle les magouilles dont font cas les chefs d’états à travers le Timonier qui est la création des lois à tout bout de chant pour faire asseoir leur domination.
Ensuite, elle décrit la situation à laquelle peut être confrontée des villageois une fois en ville. Une situation qui peut être des fois fatales par manque d’informations sur les réalités de la ville. « Que voulez-vous ? leur demanda le policier ».P.34.
Pire, une fois que la ville leur montre son vrai visage, les jeunes qui s’y aventurent regrettent d’avoir laissé leur village pour une ville cruelle et injuste où le ‘’moi‘’ domine le ‘’nous‘’. « c’était cela la ville dont rêvait toute cette jeunesse au village ». P.57.
De plus, Bugul décrit la situation des jeunes filles incarcérées. Celles-là dont la beauté conduit certains officiers à abuser d’elles prétextant être détenteur ou faiseur de la loi. « Alors, tu ne parles pas ? Tu vois comme tu as de la chance ta beauté t’a sauvée ». P.61. Mieux, Ken Bugul touche du doigt la situation des jeunes étudiantes en ville dans un pays où le peuple ne doit pas raisonner au risque d’être traité de fou et d’être tué.
Ces jeunes étudiantes n’ayant toujours pas les moyens de subvenir à leurs besoins s’adonnent à des activités peu orthodoxes. Le pire de tout cela est la situation des jeunes filles venues du village qui sont jetées dans la gueule du loup : « elle avait fait de la prostitution clandestine en tant qu’étudiante… ». P.113.
Enfin, l’interdiction au peuple de dire ce qu’il pense a conduit des hommes qui ne souffraient d’aucune maladie mentale à des centres psychiatriques pour fuir la colère des bourreaux du Timonier qui tuaient par décret les fous qui raisonnent et les fous qui ne raisonnent pas. Une occasion pour éviter l’épée de Damoclès qui pèse sur leur tête. « Mom Dioum, quant à elle, ce qu’elle aimait c’était de rester un peu à l’écart… ». P.203.
Avis critique de l’ouvrage ‘’ La folie et la Mort ‘’de Ken Bugul
Ce roman est spécial et bien écrit. L’intrigue dont il a été question a été conduite jusqu’à thème. Le suspens pousse à découvrir la suite de l’histoire. La fluidité et le rythme de lecture étaient impressionnants. A contrario, il y a eu trop de répétition de « il fait nuit ; une nuit noire ; une nuit terriblement noire. »
L’abondance des phrases en italiques empêchent de suivre correctement le rythme de lecture. L’usage trop abusif de la prose pour raconter les faits peut ennuyer. L’exagération par contre des évènements « voilà, quand il va rentrer il va… ».P.124. Peut faire penser à un conte dans lequel se retrouvent des êtres fantastiques.
Bref Aperçu de la vie de Ken Bugul
La vie qu’elle mène après la mort de son époux continue d’être très remplie mais se maintient dans une certaine sérénité. Elle rencontre un médecin béninois avec qui elle se marie et donne naissance à une fille, Yasmina. Elle se réconcilie avec sa mère peu avant que cette dernière décède en 1985.
Elle est recrutée par une ONG internationale au sein de laquelle elle s’investit dans la protection maternelle et infantile. Son mari décède et elle décide alors de cesser ses activités publiques. Elle vit principalement dans leur maison familiale au Bénin, à Porto Novo, où elle continue d’écrire. C’est là qu’elle publie La Folie et la Mort et De l’Autre Côté du Regard.
Elle associe son écriture à un besoin thérapeutique. Parallèlement, elle anime des ateliers d’écriture en Guinée et au Sénégal, pour des élèves, des chômeurs et en France pour des détenus.
Ses douloureuses expériences et son travail d’écriture régulièrement loué, la mènent sur la voie de l’acceptation et de l’apaisement : « La vie, c’est une bonne dose de folie et beaucoup d’humilité, dit-elle simplement. La folie n’est pas négative. Elle permet de se libérer. L’humilité est essentielle. Être humble, c’est être attentif au monde, à ce qui nous entoure. Et garder tous ses sens en éveil. »
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Thierry HOUNYE chroniqueur à l‘ivre Du Livre. Il est philosophe de formation à l’UAC ( Université d’Abomey-Calavi).