LE CONCLAVE DES TREIZE DÉMONS : Alphonse Montcho
LE CONCLAVE DES TREIZE DÉMONS : Alphonse Montcho

LE CONCLAVE DES TREIZE DÉMONS : Alphonse Montcho

L’ombre du zombie il y a quelques années, et aujourd’hui, un conclave de démons. Treize pour être précis. Il aime bien, cet auteur, tout ce qu’il y a de fantastique, de mystérieux. Et pour mieux découvrir son univers, je vous propose, ici, une immersion. Une immersion dans cet ouvrage de 125 pages où, Alphonse Montcho, sur cinq nouvelles, nous mène sur les sentiers du mysticisme, de l’ésotérisme. Découvrons !

Même les sirènes sont rejetées par la mer

Droit au but, la nouvelle s’ouvre par une scène érotique parfaitement poétisée. D’ailleurs, une volonté esthétique remarquable tout au long du recueil. 2 heures d’échanges, de contact, de plaisir, c’est le temps qu’a duré cette partie de commerce charnel. C’était ça le contrat qui le reliait, lui, Jijoho, à Sè Wéwé. 

Prestataire de services sexuels. Mais le réveil sera brutal pour lui quand il va s’énamourer de la belle nympho. Un amour impossible.

« Mais tu es mon aînée de seulement dix ans. Juste dix ans ! Ce n’est pas une calamité de te vouloir pour compagne. Ah, l’âge ! Tu dois aller au-delà de ce détail facile et véritablement considérer ce grand amour que je te porte. Oui. Je t’aime éperdument. Je suis prêt à tout pour…

Dix ans, c’est donc peu pour toi ! Que tu es naïf, mon beau chacal ! Et puis, tu m’arrêtes sur-le-champ cette farce de cirque. Mon cœur est hostile à l’amour. Mon cœur est un panier sans fond. Il ne peut rien contenir. Tu m’entends ? Je suis incapable d’aimer. Je ne sais que baiser, mon petit.» pp.18-19  

Face à cette affliction, cette déception, il va trouver refuge dans l’alcool, picolant à n’en point finir. Mais une nuit, alors qu’il était sur la plage à donner libre cours à sa douleur, son chagrin, il va basculer dans un autre monde avec les membres de La confrérie des treize démons venus lui apporter la lumière… 

Sè Wéwé de son côté prenait de l’âge sans qu’aucun homme ne s’intéresse à elle. Pas de prétendants, même pas un petit larbin. Rien de rien. Alors, pour pallier cette situation, la belle nympho se tourne vers le monde invisible. 

Elle va croiser, sur les sentiers de ce tout autre monde, babalawos sur babalawos, et même une prêtresse vodou, la vieille Mambo Ahuifo. Elle ne trouvera pas satisfaction. Rien. Aucun homme ne se pointera. Hardie, elle va explorer une autre piste et tomber sur son ex, son beau chacal, le Holy Jijoho. 

L’homme est devenu un messager de Dieu. Il va lui prescrire un premier qui sera sans effet.

« L’attente fut longue. Insupportable. Désespérée. Six mois. Aucun prince charmant n’a pointé le bout de son nez à ton judas. » p.35

Il va lui révéler la raison pour laquelle le sacrifice n’a pas porté fruit. En réalité, elle est liée à la sirène des eaux. Prostrée, abattue ; elle fond en larmes.

« Dieu n’a pas agréé votre offrande. Cela m’a été récemment révélé. Vous êtes liée par la sirène des eaux. C’est elle qui combat votre mariage depuis toutes ces années. » pp.35-36 

Très vite réconfortée par le Holy, il existait une solution : tuer la reine des côtes, la sirène. Perfide, Holy Jijoho savait déjà ce qui attendait Sè Wéwé. Le lendemain, après une nuit orageuse, des pêcheurs à la senne, au bout d’une longue journée de fatigue, avaient remonté dans leur filet un cadavre : celui d’une femme. 

C’était Sè Wéwé. Elle a été donnée en sacrifice à la sirène par le Holy. Lui, pour étancher sa soif de richesse et de vengeance. Lui qui, au début, avait disparu, vient de sceller son pacte avec la Gouvernante des eaux par le sang de Sè Wéwé, une albinos.

La spécificité de ce sacrifice réside dans la nature du sujet : une albinos. C’est courant, en Afrique, les albinos font l’objet de crimes rituels. Au-delà de ce voile étrange entre servant de Dieu et sirène des eaux, est-ce une dénonciation de ces crimes crapuleux ?

Le conclave des treize démons

La nouvelle éponyme s’offre par une description prégnante d’un cauchemar. Cauchemar dans lequel le protagoniste accueillait dans son resto une cliente étrange. Une cliente qui voulait manger la spécialité du restaurant, ‘’Les plats dégoulinants de…’’. Mais très vite la restauratrice va se découvrir sous les airs de l’étrange cliente qui va se dévoiler. 

Oui, les deux personnages sont identiques. La même personne : la restauratrice.

L’auteur met en suspens cette partie pour plonger dans un monde bien plus ténébreux. L’autre visage de la nuit. Un côté obscur dirigé par l’omnipotente Mambo Ahuifo. Reine mère de la confrérie ‘’Le conclave des treize démons’’. Ses treize démons et elle se rendent dans un cimetière, procession. Ils s’y rendent pour une initiation. 

Le rite est peint par excellence aux pages 54-55. L’initié, c’est la restauratrice du quartier Gbènan. Résultat : ses affaires décollent. Son restaurant devient l’un des plus prisés de la ville. Mais à quel prix a-t-elle connu ce succès ? Du sang. Des sacrifices humains. Et ses victimes qui mourraient dans des conditions dégoûtantes reviennent la troubler. Troubler ses nuits. Et sa déchéance allait venir de sa dernière victime. Morte dans un accident effroyable.

« La moto que la Peugeot 504 a percutée, a ses organes éparpillés sur la voie. Tu te convaincs qu’aucun spécialiste de la mécanique, aussi compétent qu’il soit, ne pourrait réussir à reconstituer ce puzzle. » p.59

Pendant que la foule que constitue sa clientèle était agglutinée autour de la scène d’accident, les adeptes du vodoun Gambada firent leur apparition avec, en tête, deux vodounsis. Très vite, l’âme de la victime va transmigrer dans le corps de l’une d’entre elles. Et c’est cette dernière qui va révéler tous les secrets de la restauratrice. 

« Femme, tu portes un vilain masque de brouillard. Mais aujourd’hui, c’en est fini. Ce masque va tomber. Il va tomber devant tout le monde, maîtresse de nuit. Ton ylô s’est assez abreuvé de sang humain. Ça suffit ! Tu as assez tué de pauvres innocents comme ça. Je suis venue anéantir ton pouvoir et détruire ton entreprise de brouillard et d’ombres qui prospère dans notre ville. Les gens de Ouidah ont assez mangé ta nourriture ensorcelée. » pp.62-63 

Elle va, après avoir prononcé des incantations, déterrer le petit cercueil que la restauratrice avait enseveli à l’entrée de son restaurant. Révélant aux yeux de tous le contenu :

« Au milieu des bris de planches noircies par la terre, renforcées par des alliages de fer, la foule découvre, éberluée, un lot de bougies blanches ligotées, des pièces de monnaie, deux mains squelettiques, un crâne humain avec des yeux de cauris, recouvert de plumes de pintade, de sang, de banderoles de percales rouge, blanc, noir et plusieurs autres objets sacrificiels » p.64

Du mysticisme. Serait-ce une manière de nous dire que les restaurants à succès ont forcément des cadavres enfouis dans les placards ?

Tu n’auras que le rire de la poussière pour linceul

  Avant de commencer ici, j’aimerais vous rappeler que le style de l’auteur dans cette nouvelle se veut iconoclaste. Iconoclaste de par la structure aux allures poétiques, poésie séquencée, iconoclaste de par sa forme. 

Et dans cette troisième nouvelle, Fatima n’aurait pas dû défier sa mère, Bona. Elle n’aurait pas dû. L’avidité et le pouvoir l’ont poussé vers la déchéance. Jeter son dévolu sur le même ‘’cœur feu de forge’’ que désirait sa mère allait causer sa perte. 

« Fatima, je te tuerais si jamais tu oses me voler ce cœur feu de forge. Le sang et le cœur de cette jeune bariba, ça m’appartient ! Tu m’entends ? N’y touche surtout pas…sinon je te briserais sans aucun état d’âme.

Depuis quand une maîtresse de nuit a des états d’âme ? S’il me faut te défier, te combattre à griffes et à crocs, pour avoir ce que je veux, le jeu en vaut vraiment la braise. Ma mère chérie, si tu ne me supprimes pas, eh bien, c’est moi qui te rayerais, vouerais ton souffle au néant sans hésitation. » p.81

Toutes membres de la confrérie Le conclave des treize démons, mère et fille voulaient acquérir plus de puissance. Et ce désir devait être satisfait après consommation du très spécial cœur de la jeune vendeuse de fourah au marché de Zongo.

Fatima allait très vite payer le prix de son irrévérence quand, lors de son voyage astral en pleine journée, elle se retrouve au milieu de la folle foule dans le marché de Zongo, ne formant qu’un avec la poussière. Sa mère eut raison d’elle. Son irrespect avait accouché de sa mort.

Serait-ce une manière de rappeler que même dans le côté obscur, aucune irrévérence à l’endroit d’un aîné n’est tolérée ?

La belle Nuit dans les entrailles

Cette quatrième et avant dernière nouvelle de l’œuvre se concentre sur deux amis : Zozopia et Zimbabwe, alias Zimbabouin. Deux voleurs d’animaux domestiques dont les lynchages et les séjours en prison ne découragent pas. Mais ils ont commis l’erreur de leur vie, et signer parallèlement leur arrêt de mort lorsqu’ils ont capturé et mangé Nuit, le matou noir totem de Mambo Ahuifo. C’était la limite à ne pas franchir, la porte du non-retour. Pendant que l’Haïtienne prévenait :

« Aujourd’hui encore, ma voix se confond dans une criée. Je le fais à cœur défendant. Quelques jours maintenant que ma belle Nuit, mon inséparable compagne, a disparu de la maison sans laisser de traces. Je demande à celui qui la garde en captivité, de la libérer dans l’immédiat s’il ne veut pas que son existence soit une poésie d’ombres et de ruines. Demain, dès le rire du soleil, je passerai une dernière fois avant les chants de la nuit. Si celui qui la retient ne se ravise à la libérer dans les prochaines heures, je décline la responsabilité de ce qui adviendrait » pp.103-104

Les deux amis avaient dépecé l’animal et commencé leur cuisine. Certes, en éviscérant le chat, ils sont tombés sur un objet qui logeait dans les entrailles de l’animal. Objet qui aurait dû leur mettre la puce à l’oreille. 

« Tonton Zimbabwe récupère l’objet d’entre les rouleaux d’intestins. Debout dans sa paume, une figurine de taille raisonnable portant des plumes de perroquet, des cauris, et des morceaux de métaux le long du tronc, cisaillée dans du bois dur… » p.94

Mais aveuglés par leur boulimie, leur cupidité, ils vont négliger cet objet en pissant dessus et en le brûlant avant de se délecter, de se repaître de la chair du chat. Repus, ils vont sombrer dans le sommeil. Un repos cauchemardesque. Zozopia va se réveiller en sursaut après avoir été poursuivi par une chose dans son sommeil. 

Il va tomber sur la figurine qu’ils avaient brûlée, intact, comme nouveau, près de son oreiller. Voulant informer son ami Zimbabwe, dehors de sa découverte, il va tomber sur une étrange meute de chats zombies, dirigée par la chose. La chose de son cauchemar. Interdit de mouvement, il s’écroule avant d’apercevoir dans le sable de la cour, Zimbabwe dans l’agonie comme lui. C’était leur fin puisqu’ils avaient mangé la mort, l’animal était revenu se venger.

Cette nouvelle aborde le mysticisme d’une autre façon. Il est utilisé pas pour des fins personnelles malsaines, mais pour rendre justice, une certaine équité. Est-ce l’autre visage du côté obscur que l’auteur montre ?

Morsure du lac

Jean Duval, pêcheur sportif européen, arrive en Afrique sous invitation d’un autre pêcheur béninois du nom d’Avossè pour une partie de pêche. Pêcher le plus grand poisson du lac Ahémé. Une partie de pêche sur une zone protégée du lac. Assez risquée, donc. Très vite, Avossè prit les devants pour négocier avec le chef des gardiens du site protégé. 

Le lendemain, ils se préparèrent très tôt le matin et se rendirent sur le lac avec leurs équipements. Une fois dans l’enclos de la zone protégée, ils ne tardèrent pas à ressentir la présence du spécimen.  Ça allait être le début d’une longue bataille physique entre les pêcheurs et la bête. Une bataille fatale pour Avossè et terrifiante pour Duval.

«  Géante. Hideuse. Visqueuse. Démesurée. Au corps recouvert d’algues, le tronc garni d’énormes nageoires, jaillit des fonds insoupçonnés du lac Ahémé, effroyable. Elle fendit la surface de l’eau à une vitesse supersonique jusqu’aux deux pêcheurs. Elle s’enroula autour de lui comme un python birman et l’étreignit, féroce. Impitoyable. Il poussa un cri d’effroi. La créature ouvrit une gueule démesurée, pointillée de dents acérées d’où dégoulinait une bave d’une verdeur fournie. D’une verdeur pâteuse. Elle la lui répandit sur la tête avant de le mordre dans le cou. » p.123

Duval, médusé, estomaqué, n’avait réussi à émettre qu’un hurlement avant de tomber en syncope. La charge de ce qu’il venait de voir, de vivre était au-dessus des capacités de son cerveau. 

« Jean Duval émit un profond hurlement. Puis, il tomba en syncope dans la pirogue. Puis sombra dans un sommeil cotonneux » pp.123-124.

Ils avaient commis un sacrilège, violé une règle fondamentale du village en allant pêcher ce jour dans la réserve sacrée du lac Ahémé. Et Avossè en paya le prix fort.

« Les pieds d’Avossè avaient fusionné en un tronc de poisson dont le bout était garni d’une puissante nageoire caudale. Ses bras s’étaient rétrécis, métamorphosés en nageoires pectorales. Sur sa colonne vertébrale, une énorme nageoire dorsale avait poussé ses énormes épines. Son corps, devenu plus sombre, était visqueux comme celui d’un poisson-chat, plâtré de coquilles d’huîtres. Plus de barbe. Seulement des moustaches. Rampant dans le sable, Camarade Pêcheur respirait avec ses branchies-joues » p.125

Tout comme dans la précédente nouvelle, le mystique, surnaturel si on veut, intervient pour sanctionner des déviants.

Le conclave des treize démons montre une certaine dualité du mysticisme : un côté enclin au mal, et un autre qui recherche l’équité. Les trois premières nouvelles en exemple pour le premier côté, et les deux dernières nouvelles faisant montre du second côté.

Vous aurez compris que les cinq nouvelles de ce recueil sont l’isotopie du mysticisme, un ésotérisme, quelque part. Sans oublier d’autres linéaments comme le monde du vodou, l’occultisme, la sorcellerie… 

Dans un style assez poétique, Alphonse surfe sur des thématiques à forte charge spirituelle, brisant même un certain hermétisme. Lui-même est peut-être un initié…supposition. Je n’ai plus grand-chose à dire, je souhaiterais juste que vous vous procuriez le livre, et que vous ayez le plaisir de vous faire vos propres opinions. 

Une œuvre à lire absolument !

Nandi Michel, pour L’ivre du livre

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