Très souvent, les jeux sont appréhendés comme des activités de moindre importance, de divertissement, auxquelles on s’adonne pour lutter contre l’ennui, pour tuer le temps, quand on n’a rien de lucratif à faire, bref, des activités sans aucune importance socio-culturelle.
Mais il y a quelques décennies, les jeux et leurs valeurs civilisationnelles ont donné naissance à une étude approfondie et à un débat très houleux. Il était question non seulement d’étudier les jeux dans leur immense diversité à travers le temps et l’espace, mais aussi et surtout, d’y chercher leurs apports, leur importance dans la culture, pour l’homme et pour l’humanité.
Dans cette veine, anthropologues, sociologues et éthologues vont se livrer à un débat d’idées qui a fait couler toute une vase d’encre. Parmi ceux-ci figure l’éminent sociologue Roger Caillois.
Caillois est né le 3 mars 1913 à Reims et est décédé le 21 décembre 1978 au Kremlin-Bicêtre. Il est écrivain, sociologue et critique littéraire français. Agrégé de la grammaire, il fonde en 1938, avec Georges Bataille et Michel Leiris, le Collège de la Sociologie, destinée à l’étude des manifestations du sacré dans la vie sociale.
Il est également fondateur de l’Institut français de Buenos Aires, de la revue Les Lettres françaises, de la Collection Gallimard « La croix du sud » et de la revue de sciences humaines Diogène. Élu Académicien en 1971, il a une bibliographie bien riche en essais, en poésies et en critiques littéraires.
Parmi les plus célèbres de ses essais, on peut citer Le mythe et l’homme, L’homme et le sacré, Esthétique généralisée et bien sûr Les jeux et les hommes, objet du présent article.
Les jeux et les hommes, le masque et le vertige est un essai, paru, pour la première fois en 1958 à l’édition Gallimard. Cette édition sera revue puis augmentée en 1967 par la même maison d’édition en raison du succès extraordinaire qu’elle obtient. Les jeux et les hommes est écrit sur 374 pages.
Il est subdivisé en trois grandes parties (Caillois, 1967). Sur ces 374 pages, Roger Caillois s’inscrit dans la longue liste des auteurs, tout horizon confondu, notamment des philosophes, des anthropologues et des sociologues qui, avant lui, « ont été frappés par l’interdépendance des jeux et de la culture. »
A l’instar de ses prédécesseurs et en contraste avec la plupart d’entre eux, Caillois s’intéresse, à sa manière, à la relation fructueuse ou destructrice qui pourrait exister entre les jeux et la culture. Il a essayé de répondre à plusieurs questions dans ce livre.
Qu’est-ce que le jeu ? Comment réussir à classifier les jeux, « malgré leur diversité presque infinie qui les caractérise », en tenant compte de ce qu’ils ont de différents, de communs, de leur vision socio-culturelle ? Les jeux sont-ils les débris de la culture ou c’est l’ensemble des jeux qui crée la culture ?
Quelle est l’importance socio-culturelle des jeux dans la construction d’une civilisation équilibrée et régularisée ? Les différentes règles qui régissent les jeux ne sont-elles pas le reflet des conventions sociétales ? Comment pouvons-nous nous inspirer de l’ensemble des règles régissant les jeux, de leur « convention » pour établir une société régularisée ?
De par ses analyses minutieuses, Roger Caillois « montre en quoi, non pas le jeu lui-même, mais les dispositions psychologiques qu’il traduit et qu’il développe peuvent en effet constituer d’importants facteurs de civilisation. » Explicitement, l’auteur soutient avec une argumentation bien feutrée que « la plupart des institutions qui ordonnent les sociétés » et des « disciplines qui contribuent » à la gloire de toute civilisation sont inspirées de l’esprit des jeux.
L’esprit des jeux, c-à-d les différentes règles qui les régissent, leur « convention » serait alors présent dans des institutions telles que le Droit, la Politique, l’Art dans tous ces domaines, la guerre…
Les jeux et les hommes est écrit dans un style langagier accessible au lecteur moyen. Néanmoins, la complexité de l’esprit du débat qu’il aborde peut laisser le lecteur, peu informé sur la question, totalement bleu. Il s’agit d’un livre, mine d’informations qui peut aider tout lecteur non seulement à enrichir son vocabulaire, mais davantage à avoir une vision précise sur les jeux pris dans leur ensemble et sur leur importance. C’est inéluctablement un livre à lire, un livre à s’offrir pour élucider le mystère conventionnel des jeux et leur statut dans la sociologie.
Edmond Batossi, chroniqueur chez L’ivre Du Livre