Sous le soleil des indépendances, l’Afrique naissante sera confrontée à un dilemme majestueux. Renouer avec la vieille école et conserver les restes des valeurs de la tradition qui ont résisté à l’intervention coloniale pour une Afrique authentique ou serrer la main à la modernité et prendre le risque de voir les valeurs propres à l’Afrique disparaître l’une après l’autre. Ce conflit modernité-tradition sera l’une des préoccupations majeures des écrivains africains dans les cendres des indépendances. Comme ses homologues de l’Afrique francophones, à l’instar de Séidou Badian (Sous l’orage), Ahmadou Kourouma (Le soleil des indépendances), Cheik Hamidou Kane (L’aventure ambiguë), le célèbre poète du Nigéria Wolé Soyinka n’est pas resté à la marge de ce grand évènement sociopolitique et culturel.
Wolé Soyinka est un grand auteur nigérian, écrivant prioritairement de la poésie et du théâtre. Il est né en 1934 au Nigéria et a vécu dans ce pays encore sous le contrôle britannique. Avec sa plume souvent satirique, Wolé Soyinka est le premier auteur africain à recevoir en 1959 le prix Nobel de Littérature. Le célèbre poète a enseigné dans des Universités à renommée internationale comme Harvard, Yale et Cambridge. Il publiait en 1962 l’une des pièces de théâtre majeures de sa carrière, The Lion and the jewel, Le Lion et la perle, jouée trois ans plus tôt.
À travers cette pièce de théâtre écrite rigoureusement sur 100 pages ( CLE Yaoundé, 2012), l’homme des lettres aborde l’une des thématiques les plus en vogue, le conflit entre tradition et modernité dans une Afrique encore habillée des vestiges de la colonisation. Cette rivalité a été matérialisée dans Le Lion et la Perle par deux figures majeures. Il s’agit d’un côté de Baroka, le Balè du village Ilunjile, le Lion, fervent conservateur des valeurs traditionnelles, mais qui n’est pas pour autant si hostile à la modernité, et de l’autre côté Lakunlé, l’instituteur du village qui éprit ou imbu des idées occidentales développe une certaine méfiance vis-à-vis de la tradition africaine qu’il trouve trop vieille, dépassée. Il tient coûte que coûte à apporter sa modernité au village. Les deux se disputeront la main de la belle Sidi, la perle, qui visiblement incarne cette Afrique partagée entre la tradition et la modernité, cette Afrique hésitante, prise entre son passé et un futur hypothétique. Autrement dit, dans Le Lion et la perle, la modernisation voit s’affronter deux différents camps. Il y a d’une part les conservateurs, ceux-là qui rejettent, partiellement ou en bloc, la modernité par pure crainte des changements que cela pourrait enclencher et les éventuelles conséquences que cela est susceptible de provoquer. Pour le Balè, par exemple, la perte de ses privilèges de roi est l’ultime peur. D’autre part, il y a le camp des modernistes, qui, comme l’instituteur, veulent faire table rase du passé et balayer toutes les vieilles traditions pour amorcer le progrès.
En dehors ou au-delà de cette rivalité qui est la thématique principale du livre, d’autres thématiques non moins importantes ont été aussi développées dans Le lion et la perle. C’est le cas de l’éducation qui occupe une place très privilégiée dans tous les actes. Ici aussi, l’éducation est vue ou traitée sous deux différents angles. Il y a l’éducation occidentale et l’éducation traditionnelle. Les personnes éduquées à l’école des colons voient comme les colons. Elles trouvent alors dans les pratiques traditionnelles de la barbarie. À l’opposé, les villageois, éduqués selon les valeurs traditionnelles, ne trouvent aucune importance à l’éducation moderne qu’ils jugent extrêmement dangereuse pour le futur. L’éducation apparaît alors comme le point de séparation des rivaux. En outre, Wolé Soyinka a jeté un coup d’œil sur la situation de la femme vue sous l’angle de la tradition. Ici, la femme est vue comme une propriété, un bien. Elle fait objet de translation. Elle peut être vendue ou achetée.
Le Lion et la perle est écrit dans un style simple et dans un langage accessible au lecteur moyen. Il est troué de satires. Le rire est au rendez-vous dans tous les actes. Le livre laisse cependant le lecteur avec plusieurs interrogations. A-t-on vraiment le droit d’accuser Baroka de conservationniste alors qu’il affectionne la technologie moderne ? Peut-on affirmer avec certitude que Lakunlé est un moderniste alors qu’il participe aux chants et à la danse du village et pense comme les conservateurs qu’une fille qui a perdu sa virginité n’a pas droit à la dot ?
Je vous invite à lire ou à relire Le Lion et la perle de Wolé Soyinka pour vous faire votre propre idée.
Edmond BATOSSI. Étudiant en Droit et en Philosophie à l’Université d’Abomey-Calavi.
Merci de me permettre de nourrir à nouveau l’âme