ŒSTROGÈNES OU QUAND LA FÉMINITÉ S’EXPRIME
ŒSTROGÈNES OU QUAND LA FÉMINITÉ S’EXPRIME

ŒSTROGÈNES OU QUAND LA FÉMINITÉ S’EXPRIME

Dans un monde où l’expression de soi devient un problème pour les uns et les autres, les femmes se lèvent tel un essaim d’abeilles et chantent pour elles-mêmes. Elles ont décidées de laisser les mots exprimer ce qu’elles sont. Et c’est ce qu’elles ont fait. Elles, ces huit (08) poétesses d’Afrique et d’Europe qui ont laissé leurs plumes se vider, leurs langues se délier, et leur féminité s’exprimer. C’est à travers un recueil de poèmes que ces poétesses ont laissées leurs émotions explosées, leur mal-être se montrer. Publié aux Éditions Vénus d’ébène à Cotonou en 2021, le recueil collectif de poèmes Œstrogènes, regroupe un ensembles de textes écrits par des plumes de divers horizons.

I- LA POÉSIE COMME ARME DE LIBÉRATION, D’EXPRESSIONS ET D’UNITÉ FÉMININE

Les mots, ils sont des armes mais également des remèdes qui favorisent la catharsis. C’est à travers eux que le monde s’exprime. Et quand en s’embrassant et se liant, les mots forment une harmonie et une unité sans pareille, ils deviennent poésie. Cette dernière est une musique, une musique de l’âme, un exutoire, une ouverture vers la sensibilité et l’éternité. Quand les Hommes savent créer avec des mots des émotions vives et profondes, quand ils savent mettre de véritables mots sur leurs peines et souffrances, ils expriment le monde, ils chantent un hymne à la vie, à la mort, à l’Être tout simplement. À travers la poésie, l’insensé retrouve son sens, l’indicible se lit dans le dicible et l’ombre se mêle à la clarté. La poésie était, est et demeure une arme redoutable contre les maux. Elle est omniprésente quand il faut conjurer le sort; oui quand il faut changer la donne, elle est cette musique dont la cadence invite les auditeurs à se mettre au pas. C’est à travers elle que ces huit poétesses : Carmen Fifamè TOUDONOU, Sophie ADONON, Angélique LEROY, Ella BONIN, Éliane CHEGNIMONHAN, Caroline DESPONT, Myrtille Akofa HAHO et Judith-Bernice ADIVIGNON ont décidées de se libérer, de laisser parler leur féminité. Et la féminité qu’est-ce ? C’est ce qui est propre aux femmes. Femmes en générale et non femmes divisées par une quelconque règle de nationalité. Femmes en unité et en unicité, femmes sur un même pieds, femmes se défendant, femmes s’exprimant et ce, ensemble. La poétesse Myrtille A. HAHO l’exprimait déjà de par le titre de son poème : UNE UNITÉ EN UNE.  Elle explique à travers son texte qu’il est impératif que les femmes s’unissent, qu’elles se rallient pour une cause commune car déclare t-elle à la page 37: « Il n’y a pas grand monde pour comprendre la souffrance de la femme. À part la femme elle-même, il n’y aura personne.». À bas donc les barrières linguistiques et autres formes de barrières car la femme doit être une. Les femmes doivent unies et c’est à travers la poésie qui est harmonie que ces poétesses réalisent cette harmonie invitant les autres femmes, toutes les femmes du monde à en faire de même. La poésie comme arme d’unité se lit à travers le poème de la poétesse Angélique LEROY. Elle exprime à ses soeurs et à l’univers entier son amour. Elle déclare aux femmes son amour. D’où l’intitulé de son poème N’GNIWANNOUWÉ : Je t’aime, n’oublie jamais. Beaucoup ne verront pas à première vue l’action qui accompagne ce titre. Ce titre n’est pas un appel à l’action mais plutôt l’action elle-même. Angélique LEROY, poétesse française à travers ce titre en langue Fon ( une langue béninoise), montre que l’amour n’a jamais eu de frontières, ni de limites. Et c’est à cela qu’elle appelle les femmes : à s’aimer, à s’unir, à oublier les différences de couleurs ou de langues puisque l’amour ne parle qu’une seule langue. L’unité. Une unité qui ne devrait pas uniquement exister entre femmes mais entre humains tout simplement. Car comme nous le dit la poétesse Sophie ADONON à la page 30, il faut :

« Égalisez genres masculin, féminin

Pour monde plus juste, atténuant son venin.»

La poésie comme arme d’expressions, c’est ce que clame haut et fort la poétesse suisse Caroline DESPONT. Dans un monde où les femmes sont brutalisées, marginalisées, et oubliées, il n’y a qu’à travers la poésie qu’elle retrouvent leur féminité, leur essence, leur être véritable. Elle décrit à travers son poème intitulé  PRENDRE SON SOUFFLE, le corps de la femme qui a essuyé pendant longtemps la souffrance. La souffrance physique comme psychologique, souffrance  qu’en tant que poétesse, elle livre dans  son poème à la page 43: « Le corps encaisse des caisses de violence en mots. Rien ne se dit. Tout se crie. Mal. Terre ressource au longs cours.». 

Les huit poétesses d’Afrique et d’Europe ont su dans ce recueil de poèmes, démontrer jusqu’à quel point la poésie pouvait être une arme de libération. Pas uniquement la poésie mais le simple processus à travers lequel les mots sont posés sur les ressentir. Les poétesses nous apprennent que c’est en posant les mots sur ses peines et souffrances que la femme parviendra à conquérir sa liberté. D’où ce recueil de poèmes à travers lequel la poésie se veut libératrice, se veut arme de libération. La poétesse franco-beninoise Éliane CHEGINMONHAN illustre à travers son poème intitulé L’ENVOLÉE LÉGÈRE, le pouvoir de la parole, le pouvoir des mots. Elle écrit à la page 63:

 « Vois comme je vole

Comme un oiseau aux mille ailes je pars

Je vole avec audace entre cieux et terre

Je cours rejoindre la bande des insouciantes ».

Et oui, la poésie libère. Elle annihile les poids qui pèsent sur la femme et lui rend sa liberté. Liberté qu’elle obtient en déliant ses lèvres et en laissant exprimer sa féminité. La poétesse togolaise Ella BONIN toujours dans le même sens que le pouvoir libérateur de la poésie, montre à travers son poème LES INSOUMISES, qu’il suffit que la femme parle, qu’elle dise non afin de pouvoir réellement conquérir sa liberté. Et pour cela, la femme doit apprendre à dire :

« Adieu conformisme et soumission

Ses jours sont depuis damnation ».

LIBRES, voilà ce que chante la poétesse béninoise Carmen Fifamè TOUDONOU. Elle veut être libre et pas uniquement elle mais elles. Et pour cela, elles se doivent de parler, de s’exprimer, oui d’oser. Elles doivent :

« Affranchir les œillères et les préjugés

Bêcher les layons des clichés entêtés » .

Car dit-elle la liberté de la femme commence par la rupture des chaînes psychologiques :

« C’est dans la tête qu’il faut être libres matrones

Dans les brisures des tabous et des interdits

Entre les lignes infectes de la grande malédiction tutélaire ». P.95.

II- LA POÉSIE : UNE FÉMINITÉ DÉVOILÉE ?

Et si l’art était une femme ? Voilà l’interrogation qu’a suscitée la lecture de ce recueil de poèmes. Pourquoi cette interrogation ? Parce que l’art est multiple mais unique. Parce que l’Homme est multidimensionnel, mais aussi parce que la femme est également FEMME ET MÈRE. À travers ces différentes esquisses de réponses on voit la naissance du binaire. Dans l’homme comme sexe masculin et dans l’homme comme sexe féminin, il existe une dualité. Une dualité qu’incarne l’art, et une dualité dans l’unicité qu’incarne le féminin. Il est important de souligner d’abord que la poésie est un important outil d’expression de la féminité en ce sens qu’elle permet aux femmes d’explorer et d’affirmer leur identité, leurs expériences et émotions comme réponses aux normes patriarcales imposées par la société. On peut lire la valeur de la poésie dans l’expression de la féminité à travers ces vers de la poétesse Ella BONIN :

« Je ne savais pas que ma paire de seins

Devrait lorgner mes orteils en signe de soumission

Pour espérer un regard bienveillant de la confrérie ».

Ensuite, la poésie est une féminité dévoilée car elle appelle les femmes à la solidarité et à l’unité. Les anthologies ( comme Œstrogènes) ainsi que les différents mouvements littéraires féminins, permettent aux femmes de se soutenir mutuellement et de contribuer à la construction d’un avenir commun. Un avenir au sein duquel l’amour et la sororité dictent leurs lois. C’est cet appel à la solidarité que la poétesse Myrtille A. HAHO a lancé dans son poème. Elle écrit à la page 33: « Il faut un peu de solidarité pour tenir la corde ténue de nos réussites. ». Ce vers apprend aux femmes que c’est dans l’unité qu’elles pourront avoir leurs places au soleil. En plus, la poésie est l’expression de la féminité puisqu’elle constitue une scène qui donne voix aux femmes, une scène qui leur permet de parler d’elles. Que ce soit pour parler de leurs corps, de leur sexualité, de la maternité ou encore de leur épanouissement holistique, la poésie leur permet d’être elles-mêmes sans artifices et de se battre pour leur propre épanouissement. La poésie est en réalité l’autel sur lequel les femmes immolent leur silence et ressuscitent leur féminité, leur être véritable. La poétesse Sophie ADONON écrit à la page 30 :

« Haro! Égalité en droit et en devoir.

Pour équité réelle, effets à percevoir.

Titres épicènes ne gênent nullement,

Avant, entendions-nous appeler fréquemment :

Madame Ambassadeur, Madame le Recteur,

Quoi de plus naturel qu’une femme auteur ? »

En outre, la féminité s’exprime à travers la poésie dans la peau esthétique et stylistique. Mieux, la poésie contribue au dévoilement de la féminité non pas uniquement dans les dimensions susmentionnées mais également sur le plan esthétique et stylistique. Qui parle de femme parle de féminité, qui parle de féminité parle du style et de l’esthétique et qui parle de style et de l’esthétique, parle de la poésie. Cette dernière dont l’élément principal demeure la femme, le féminin. La poétesse Judith-Bernice ADIVIGNON montre que le style et l’esthétique sont féminins à travers son poème intitulé MON RING. Elle y montre à travers la douceurs et la beauté de ses vers que la féminité est avant tout style, douceur, prestance, délicatesse, tendresse et esthétique. Elle écrit à la page 75:

« Ô moi insensé(e) des traditions

Caresse mon tympan au son du zinli, du kaka

Que je mange en « Nan » à tes côtés

Pour que se fasse ensemble le rituel du Roi. ».

Dans ces vers pleins de délicatesses et de tendresses, la poétesse confirme que la poésie est la source même de l’expression de la féminité. Caroline DESPONT, la poétesse suisse à son tour ne va se dérober à cette démonstration. À travers son poème en prose intitulé PRENDRE SON SOUFFLE qu’on retrouve à la page 43, elle montre que l’art est bel et bien féminin et que ce n’est qu’à travers lui que se dévoile la féminité : « Les corps parcourt les sentiers à l’ombre des grands arbres, sous le soleil brûlant d’une réalité qu’il voudrait autre. Rêve. Poésie refuge. ». La poésie est le siège de la féminité. Toutes les poétesses du recueil collectif de poèmes Œstrogènes s’attèlent à le montrer à cor et à cri de plumes. Le poème NONNES de la poétesse Carmen Fifamè TOUDONOU en plus de montrer la poésie comme une féminité dévoilée, elle montre que la féminité, la femme, et de là tout ce qui est harmonie, est féminin. Une féminité dans la sacralité. Elle écrit à la page 93 :

« Gloire à Dieu alléluia

Haut les cœurs, hauts les seins d’esprit amène

Ici donc gît la sacralité ».

Le recueil collectif de poèmes Œstrogènes, loin d’être un ensemble de textes écrits par des femmes, est un crédo, un hymne à la liberté, à l’épanouissement et à l’expression de la féminité. Les femmes du monde entier se doivent plus que jamais d’être unies afin de marcher mains dans la mains vers leur accomplissement. Ce recueil de poèmes révèle que la féminité n’est pas fragilité mais plutôt expression, résilience, flamme et par dessus tout unité et solidarité. Vive la sororité, et l’unité féminine dans la diversité !

Articles Similaires
Petit Jo, enfant des rues de Évelyne Mpoudi Ngollé

On ne choisit pas le lieu de sa naissance, encore moins ses géniteurs. Tout cela est du ressort de l'être Lire plus

L’AMI INTIME : Abdel Hakim A. LALEYE

Amitié ! Amitié ! Amitié ! Qu’entendez-vous par amitié ? Selon le dictionnaire, l’amitié est un « sentiment réciproque qui Lire plus

« Le crime du golf » – Quand Poirot affronte la modernité sur les greens d’Agatha Christie

Le crime du golf, paru pour la première fois en 1923, est un roman policier qui ne passe pas inaperçu Lire plus

Les temps sauvages de Joseph Kessel

La vie de tout homme est mystère. Si l’homme n’est que le bras d’un être souverain, auquel il obéit le Lire plus

Le sourire de Kungana de Houénafa KOHOUGBLA

Telle une lumière jetée dans les tréfonds du monde, la voix de la femme résonne de plus en plus en Lire plus

Kant sans kantisme de Gérard Lebrun

La philosophie kantienne ou encore le kantisme est l’une des plus grandes philosophies qui a marqué l’histoire de la philosophie Lire plus

60 millions de Chrys AMÈGAN : le livre d’auteur béninois qui explore les zones d’ombre de l’âme féminine, à lire absolument

Ce livre paru en 2023 explore les zones d’ombre de l’âme féminine, à lire absolument. Publié en 2023 aux Éditions Lire plus

MÈYA D’EL HADJ DEMBA SISSOKO

Les plus grandes révolutions sont introduites par les jeunes qui décident à une période donnée de changer le cours de Lire plus

Et si les dieux pouvaient mourir ? Ce roman d’auteur béninois va bouleverser vos croyances

Croyez-vous en un dieu ? Ou devrais-je dire aux dieux divinatoires ? Peu importe ! Je sais déjà que j’aurai Lire plus

Crépuscule du tourment : Léonora Miano

« C'est à l'ombre que s'épanouissent certaines douleurs. C'est dans le silence que fleurissent ces obsessions qui deviennent le moteur Lire plus

2 commentaires

  1. Myrtille Akofa HAHO

    Merci beaucoup pour cette mise en lumière de notre œuvre commune. Cet article me ramène cinq ans en arrière avec nostalgie. Heureusement, nous ne nous sommes pas arrêtées en si bon chemin car d’autres livres ont succédé à cet ouvrage. Force à L’ivre du livre et à bientôt ! ❤️❤️❤️

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Share via
Copy link