L’Alphabet du vodun d’Esckil Gbétchédi Agbo   
L’Alphabet du vodun d’Esckil Gbétchédi Agbo   

L’Alphabet du vodun d’Esckil Gbétchédi Agbo   

« L’homme est un être culturel par nature parce qu’il est un être naturel par culture. » dixit le philosophe et sociologue français Edgar Morin. La culture étant donc ce qui définit l’homme, l’écrivain africain à travers sa plume cherche à rappeler aux africains l’importance de leur culture. Et dans son rôle d’éveilleur de conscience et d’ambassadeur de la culture, Esckil Gbétchédi Agbo nous embarque dans un voyage pour la découverte du vodun.  Publié en 2024 aux Éditions Bénin livres à Porto-Novo, la pièce théâtrale L’Alphabet du vodun d’Esckil Gbétchédi Agbo plonge le lecteur dans la réalité du vodun. Entre mysticisme et diabolisation, les arguments des uns et des autres contribuent à jeter de l’opprobre sur cette marque d’identité culturelle qu’est le vodun. Sur 77 pages, Esckil Agbo aborde la question avec pour mission de démystifier les croyances erronées que l’on porte de plus en plus sur le vodun.

Présentation de l’ouvrage Alphabet du vodun d’Esckil Gbétchédi Agbo  et impressions

La pièce théâtrale L’Alphabet du vodun d’Esckil Gbétchédi  Agbo s’offre sur une couverture multicolore mêlant le blanc, l’orange, le jaune, le noir,… La première de couverture nous présente sur un fond orange, mauve, rose et jaune une sculpture de six femmes vêtues chacune de pagnes multicolores. L’une d’entre elle porte une jarre tandis que les autres portent des paniers. En dessous de l’image sur un fond blanc, transparaissent et le titre de l’œuvre, l’identité de l’auteur ainsi que la maison d’éditions. Le titre du livre est écrit en deux différentes couleurs que sont le rouge et le noir. Les différentes couleurs de cette première de couverture peuvent être interprétées de la manière suivante : le noir illustre le mystère, l’ombre, la peur mais aussi  la connaissance. Il peut également illustrer le mal ainsi que les préjugés que l’on porte sur le vodun. 

La couleur rouge exprime la force, la révélation, le courage. Le blanc symbolise la pureté, la lumière, lumière que fait d’ailleurs jaillir l’auteur sur le vodun. Le jaune exprime la tolérance, la douceur et la patience qui peuvent être des caractères qu’on confère au vodun. La couleur rose exprime l’amour et l’orange la douceur. Á la quatrième de couverture, on lit sur un fond blanc un extrait de la pièce théâtrale suivi des informations sur l’auteur et du numéro ISBN de l’œuvre. 

À partir du titre même de cette œuvre qui est très évocateur, le lecteur peut déjà avoir de brèves idées sur le contenu et le thème central de l’ouvrage. Soulignons que le genre de l’œuvre qui, si on se fie à la couverture demeure inconnu, peut attiser la curiosité du lecteur. Il peut être question dans l’œuvre d’une présentation du vodun et d’une exposition de ses fonctions.

Résumé de la pièce théâtrale L’Alphabet du vodun d’Esckil Gbétchédi Agbo   

Sossa Adan, un prêtre vodun fut convoqué au tribunal par le pasteur David Michel. Ce dernier accuse le prêtre vodun d’avoir usé de sorcellerie pour pouvoir envoyer des abeilles dans son église. Sossa Adan devrait donc faire face sans avocat défenseur à une cour pleine de chrétiens et de détracteurs du vodun. C’est devant cette cour que de nombreuses vérités seront révélées telles que la véritable identité du pasteur et l’identité du propriétaire du terrain sur lequel l’église du pasteur David Michel fut construite.

Pour sa défense, Sossa Adan fit donc devant la cour un exposé sur le vodun. Un exposé dans lequel il démystifie et ôte les mauvais accoutrements dont les profanes affublent le vodun. Le président de la cour exprime toute sa fascination devant l’hypocrisie de ses collègues. Le Pasteur en ardent défenseur du Christ ne cessait d’adresser des railleries et moqueries à l’endroit du prêtre vodun. Entré en transe grâce à l’invocation des ancêtres fait par Sossa Adan, le pasteur David Michel renonça à son surnom  qui est également son nom de baptême et reconnut sa véritable identité qui n’est autre que Fadonougbo Dansi. Il s’est alors mis avec le prêtre vodun Sossa Adan à faire devant toute la cour, un exposé sur le vodun. 

Analyse et avis sur l’œuvre  L’Alphabet du vodun d’Esckil Gbétchédi Agbo

Dans cette pièce théâtrale, Esckil Agbo opte pour la démystification et la dédiabolisation du vodun. L’auteur montre aux africains, à travers le personnage de Sossa Adan  le rôle qui est le leur : celui de valoriser et de respecter leur culture. Et justement dans ce qui fait la culture africaine, on retrouve le vodun. Le vodun, comme le démontre Esckil Agbo dans sa pièce théâtrale, n’est pas uniquement une religion. Il est également une identité culturelle, une marque distinctive des africains. Esckil Agbo explique d’ailleurs dans l’œuvre à travers la voix du  personnage Sossa Adan l’origine et ce qu’est le vodun : « Le vodun en fon au Bénin et Orisha en yoruba au Nigéria d’où il est d’ailleurs parti, constitue l’ensemble des pratiques des peuples venus d’Adja-Tado. Il réunit les us, coutumes et civilisations résultant des migrations successives ayant eu lieu du 11ème aux 17ème siècles et qui ont abouti à la naissance des communautés d’Adja-Tado (actuels Bénin, Togo,  Nigeria et le Ghana). » p. 60. 

Le dialogue interreligieux en Afrique a encore de longs chemins à faire. Les conflits entre les pratiquants de différentes religions ne cessent de croître et cela constitue principalement la cause des guerres. Les uns pensent qu’ils possèdent le vrai Dieu et les autres le faux et ainsi de suite. Et c’est ce qui explique d’ailleurs le discours de diabolisation du vodun. On peut voir cela dans l’une des interventions du prêtre vodun Sossa Adan devant la cour : « Combien de fois, n’a-t-on pas entendu ces enfants de Dieu dire à la communauté si vous allez au vodun, à votre mort, vous irez en enfer ! » p. 59. Cette discrimination qui règne au sein des religions apparait de façon plus flagrante dans les propos du pasteur David Michel : « En tout cas la vérité est dans notre Sauveur. C’est ce qu’ignore l’accusé. Mais avant la fin de son séjour terrestre, il viendra au Christ. Car le monde du vodun est un monde de prédateurs, de méchants, de sorcellerie. » p.59-60. On pourrait à partir de là se demander si le progrès ou l’évolution des uns implique le dénigrement et l’accusation des autres ? À chacun de répondre !

Soulignons que l’auteur Esckil Agbo dans cette pièce théâtrale procède à une démonstration mathématique pour ce qui est des différentes appellations dans la religion vodun. Comme les prêtres ou les pasteurs ou encore les Imams dans les Églises et Mosquées, le prêtre vodun est également investi d’une mission. Le personnage Sossa Adan l’affirme à la page 20 de l’œuvre en réponse au président de la cour : « C’est une mission que j’ai reçue quand j’entamais l’adolescence. J’ai été oint par mes ancêtres. ». Le vodun est distinct du charlatanisme et du fétichisme. C’est ce que nous enseigne Esckil Agbo dans son œuvre. Il appelle ainsi les africains à se cultiver, mieux à reconnaître que les noms et adjectifs que le colon a employés pour désigner les pratiques du vodun ne correspondent en rien à la réalité du vodun. La seule preuve qui illustre l’entêtement des religieux des religions importées à qualifier de diabolique ce qu’il ne faut pas et à traiter de tous noms ou adjectifs péjoratifs le vodun est selon l’auteur : l’ignorance. L’ignorance des réalités de leur culture, de leur identité.

Le vodun considéré comme une religion est une religion dans laquelle la tolérance prime sur tout le reste, contrairement à ce que prétendent parfois les religions importées. Cependant le vodun loin d’être uniquement une religion est avant tout un modus vivendi,  un mode de vie. Et il faudrait que les détracteurs du vodun ou les personnes d’un autre bord religieux cessent de montrer le vodun du doigt. L’auteur invite les uns et les autres à aller à l’école du vodun, à s’instruire sur le vodun car le vodun n’a rien à voir avec les idées que la plupart des personnes en ont et ce qu’on entend souvent dire. Esckil Agbo toujours à travers le personnage du prêtre vodun Sossa Adan explique la grande différence qui existe entre les noms : féticheur, charlatan et autres. Ces noms, nous dit l’auteur, n’ont rien à voir avec le vodun puisque le vodun possède sa propre langue et donc ses propres thèmes tout comme le latin dans le catholicisme. L’auteur invite les uns et les autres à ne pas se fier aux terminologies inventées par le colon pour désigner cette réalité cultuelle et culturelle. On peut donc comprendre à travers les propos du personnage de Sossa Adan, le prêtre vodun que : « Vodun et fétiche ne traduisent pas la même réalité. C’est une monumentale erreur de confondre Vodun au fétiche. D’abord, vodun incarne une culture, celle d’une partie de l’Afrique de l’Ouest, et fétiche c’est le mot qu’ont trouvé les premiers Portugais arrivés sur la côte africaine  pour désigner le culte ancestral d’Afrique, singulièrement, pour désigner les objets de culte dans les traditions africaines. Or, feitiço à partir duquel est formé fétiche, en langue portugaise désigne ce qui est artificiel. Le Vodun est-il artificiel ? ». p. 22. 

L’Alphabet du Vodun : un plaidoyer pour le vodun ? 

Après la lecture de cette pièce théâtrale, l’on pourrait se demander si cette œuvre n’est pas un plaidoyer en faveur du vodun. Esckil Gbétchédi Agbo à travers cette œuvre est dans une posture d’encensement du vodun. Le vodun, qui est selon lui partie intégrante de la culture, est de plus en plus diabolisé et combattu par les religions importées. C’est donc dans cette dynamique qu’il a entrepris à travers cet ouvrage de démystifier le vodun, mieux de déconstruire les paradigmes sur le vodun. Il est remarquable de dire dans un premier temps que cette initiative de l’auteur est fort louable et témoigne de sa prise de responsabilité. Mieux, le siècle de la victimisation et de l’attente est passé. Il est tant que l’homme noir se bat pour son propre bien. Les enjeux qui surgissent lorsqu’on parle du vodun sont énormes. 

Esckil Agbo nous dévoile dans son livre que l’une des raisons de la diabolisation du vodun reste la colonisation. Les pseudos noms dont ils ont affublés le vodun et ses cultes en sont une preuve irréfutable. L’une des premières missions du colonisateur blanc fut la destruction des croyances des peuples africains. C’est de cette manière qu’ils ont réussi à semer le trouble entre les peuples. Le premier travail a donc été un travail de déconstruction, un travail de l’esprit à travers lequel ils ont fait croire aux africains qu’ils étaient embourbés dans l’erreur, la fausseté et l’illusion. Esckil Agbo nous explique cela à travers le personnage de Sossa Adan qui a été accusé de sorcellerie parce qu’il était un prêtre vodun : « les missionnaires ont créés deux choses autour du vodun : la diabolisation et la peur. ».p.57

Nous nous demanderons si à travers cette pièce théâtrale, Esckil Gbétchédi Agbo n’opère pas une vengeance. Une vengeance contre toutes les fois où le vodun a été diabolisé, combattu par les croyants des religions importées. Dans un second temps, lorsque nous faisons une lecture plus approfondie de l’œuvre, on peut dire que l’auteur dans cette œuvre est dans une posture de révolte contre les détracteurs du vodun. Révolte oui ; une révolte pacifique ? Peut-être. 

À travers les propos du personnage Sossa Adan on peut être amené à lire ces pas de danses dans ceux de l’auteur. On voit clairement que dans les propos du prêtre vodun, il y a parfois de l’ironie mais aussi et surtout une arrogance dissimulée : « Je suis un gardien du temple, un garant des savoirs ancestraux. Arrête quelques secondes. Le jeune pasteur n’est pas le premier à tenir de telles affabulations sur le vodun. Il n’a fait que répéter à la manière d’un perroquet ce que ses aînés dans leur foi ont imprimé dans sa cervelle. ». Pourquoi traiter le pasteur de perroquet ? Lorsque nous poursuivons notre analyse, il est possible de lire cette démarche vengeresse de l’auteur à travers la transe du pasteur. Il faut dire que cette transe a été provoquée par des invocations faites par l’accusé qui n’est autre que Sossa Adan, le prêtre vodun. On peut lire à la page 66 de la pièce : « Juste après cette invocation de l’accusé, surprise générale. Le pasteur au sol. En transe. Panique dans la salle. Le procureur, les deux mains sur la tête. Le Président, debout, sans mots. ». N’est-ce pas les incantations du prêtre vodun Sossa Adan qui ont provoqué la transe du pasteur ? Il faut dire que ce dernier était lui-même depuis le début de la séance. Pourquoi serait-ce après les invocations du prêtre vodun qu’il entrerait en transe ? En effet il est possible d’établir là une déduction : la transe n’est rien d’autre que la conséquence de l’invocation du prêtre vodun. Et si on essayait ici de dépasser cette manière de lire ? On pourrait soutenir que la transe du pasteur est une manifestation de l’appellation de son vrai nom, malheureusement le président à appeler son vrai nom à maintes reprises sans qu’il ne se mette en transe. Cette idée paraît dans notre analyse ici présente réfutable. 

La pièce théâtrale L’Alphabet du Vodun d’Esckil Gbétchédi Agbo, est subdivisée en deux parties dont la première partie est intitulée Jour J-1 et la seconde partie intitulée Jour J. La première partie est composée de deux scènes et la seconde de cinq scènes. Ce qui fait sept scènes au total. Notons qu’après les deux premières pages de l’œuvre, il y a une dédicace. L’œuvre est écrite dans un style sobre et agréable à lire. Les proverbes prononcés par le personnage Sossa Adan dans l’œuvre témoignent de la richesse linguistique de l’œuvre.

Notons également la présence des références bibliographiques dans la pièce. Cela illustre le travail d’arrière-plan qui a été fait par l’auteur avant de produire cette œuvre. Comme le disait Hegel, toute création humaine est une création de l’esprit. Et donc Esckil Gbétchédi Agbo dans cette œuvre qui est d’ailleurs sa première publication, s’est investi d’une mission importante pour toute l’Afrique : celle de démystifier et de déconstruire les paradigmes sur le vodun. L’autre dimension de l’œuvre qu’il ne faut pas négliger est celle historique mais aussi contemporaine. L’ouvrage s’inscrit dans une dynamique de promotion des valeurs ancestrales africaines. Il faut préciser que cette pièce théâtrale, loin d’être une simple œuvre de littérature peut servir de propédeutique à tous les véritables africains, les curieux, les africains soucieux de leur origine, et tous ceux qui aimeraient écrire sur le vodun. Il faut dire que cette pièce de théâtre d’Esckil Gbétchédi Agbo, est unique de par son style d’écriture en ce sens que les scènes ont été illustrées par des heures. Cela reverse la dimension juridique de l’histoire. 

Ce qu’il faut également retenir dans cette œuvre est la mise en garde de l’auteur contre les faux babalaos (faux prêtres vodun). Esckil Gbétchédi Agbo, interpelle également les différents religieux à s’ouvrir au dialogue interreligieux afin d’apprendre les uns des autres. Le mal n’est l’apanage d’aucune religion ; il cohabite avec le bien au sein de toutes les entreprises humaines.

IV- Bref aperçu sur l’auteur

Gbétchédi Esckil Agbo est enseignant de formation, journaliste culturel et promoteur littéraire par passion. Il est également Délégué Général de la Foire internationale du livre d’histoire, des patrimoines d’Afrique et des Afrodescendants. Sacré Grand Prix littéraire du Bénin dans la catégorie « Journaliste – chroniqueur littéraire », la pièce théâtrale L’Alphabet du Vodun est son premier livre.

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Un commentaire

  1. HOUNKPATIN Mariasse

    La lecture de cette œuvre m’a plus éclairé sur mon avis face au vodoun. La modernisation nous pousse parfois à voir toujours le mauvais côté de nos religion endogène, mais c’est plutôt une richesse que nos ancêtres nous ont laissé et nous devons valoriser.

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