Du vendredi 15 au dimanche 17 mars 2024 à Paris, le Salon du Livre Africain de Paris a accueilli plus de 200 auteurs, dont l’écrivain béninois Maboudou Abdou Rahim, alias Bravo. Il était présent grâce à un appui financier de l’Institut français du Bénin pour participer aux activités et présenter ses œuvres aux visiteurs du salon. De retour au Bénin, L’ivre du livre l’a interrogé sur sa participation à cet événement. Il raconte ses plus beaux souvenirs et répond à d’autres questions intéressantes sur l’avenir de la littérature africaine francophone.
L’ivre du livre : Quels sont les moments forts en émotions que vous avez vécus au Salon du Livre Africain de Paris ?
Bravo : Les moments qui m’ont marqué lors de ce salon à Paris incluent les expositions, la lecture d’extraits d’ouvrages, les performances de slam, les conférences-débats et un peu d’animation. Plus particulièrement, l’un de ces moments a été très significatif pour moi : ma rencontre avec Anne Brouard. C’est une jeune fille très charmante qui, à mon insu, suivait la lecture de mes poèmes. J’ai remarqué plus tard son visage parmi le public, alors qu’elle filmait ma performance de lecture de textes sur la cour de la mairie. Ensuite, nous avons échangé quelques mots dans le grand hall, puis elle a visité mon stand. À ce moment-là, je voulais lui résumer le contenu de mon ouvrage que j’avais récemment lu. Elle m’a répondu qu’elle connaissait déjà plus ou moins le contenu de l’ouvrage car elle m’avait écouté depuis les deux premiers jours. J’ai été agréablement surpris ! Nous avons continué à discuter et elle s’est éloignée pendant quelques minutes avant de revenir me suggérer l’achat d’un ouvrage. Elle m’a dit : « Écoute, il y a un ouvrage là-bas que je viens d’acheter, tu devrais le prendre car, vu la résonance de ton âme, cet ouvrage te parlera. » J’ai donc cherché en vain le stand où se trouvait le livre. À ce moment-là, elle m’a pris par la main et m’a conduit vers l’ouvrage. J’ai décidé de l’acheter sans même regarder le nom de l’auteur au préalable. Et devinez qui était l’auteur ? Capitaine Alexandre ! Ce fut un moment de joie pour moi. Je n’arrivais pas à y croire. En fait, Capitaine Alexandre est l’un des grands écrivains et slameurs que je suis depuis 2016-2017 via des vidéos YouTube. C’est quelqu’un de talentueux avec une plume habile et raffinée. C’est alors que j’ai lu le nom sur la couverture et c’était bien lui : Marc Alexandre ! J’étais stupéfait, j’ai crié : « Comment est-ce possible ? » Je me souviens de sa réponse : « C’est possible, il n’y a que les grands esprits qui se rencontrent. » Je lui ai dit : « Capitaine, je suis votre fan depuis tout petit, je vous suis, je vous écoute. » Nous avons échangé nos contacts et j’ai acheté tous ses ouvrages au lieu du seul que Anne m’avait suggéré. Il m’a fait des dédicaces. Ensuite, il m’a invité à une séance à laquelle d’autres grands poètes ont participé. Là, j’ai récité l’un de mes poèmes et ils ont aimé ! Je raconte tout cela pour souligner que Anne était le catalyseur de cette rencontre, l’une des plus belles choses que j’ai vécues lors de ce salon. Comme Seydou Badian l’a si bien dit dans l’un de ses ouvrages : La meilleure des connaissances est celle qui rapproche les hommes. (Bravo, larmes d’émotions aux yeux… continue) Elle m’a soutenu tout au long du salon. Je tiens à saluer cela.
« Décloisonner les imaginaires, repenser les futurs », c’est le thème principal de l’édition 2024 de ce salon. Qu’avez-vous appris d’important sur les enjeux intellectuels de la littérature africaine francophone qui seraient utiles aux écrivains africains et béninois ?
Ce que j’ai appris d’important sur les enjeux intellectuels, c’est de ne pas vous limiter, car les gens vous suivent et sont prêts à vous aider. Les gens sont prêts à rester affamés pour vous aider, mais ils le feront à condition que vous leur montriez de quoi vous êtes capable, que vous leur confirmiez qu’ils ont tout à gagner en vous aidant. Ces gens dont je parle ne sont pas votre famille, ce ne sont pas vos parents, ni vos frères, ni vos petites sœurs. Il s’agit des hommes d’affaires, des entrepreneurs, parfois même des gens de votre cercle, des écrivains. Je pense à un écrivain et poète béninois. C’est quelqu’un qui m’a aidé financièrement. Même lorsque la période du carême du Ramadan approchait, il n’a pas hésité à débloquer une somme importante pour me permettre de participer à ce Salon. Il a cru en moi. Comme lui, il existe plusieurs personnalités de ce genre qui requièrent l’anonymat. Je les remercie par cette occasion. En revanche, si vous doutez de vous-même, ils douteront de vous également. Il faut mettre tout votre corps, toute votre âme dans ce que vous faites, les gens sont obligés de suivre. Croyez en vos rêves. Par conséquent, les auteurs africains et béninois doivent s’investir davantage. Traquez les salons, traquez tous les festivals du livre. S’il faut cotiser pour obtenir un billet, cotisez. Les résultats suivront. S’il faut lancer des campagnes, faites-le. Si vous devez frapper à des portes, frappez-en plusieurs jusqu’à ce que l’une d’elles s’ouvre pour vous. Tant que cela concerne la littérature, ne manquez pas le rendez-vous.
Comment concevez-vous désormais l’avenir de la littérature africaine francophone après cette expérience ?
Bien avant cette expérience, je crois que l’avenir de la littérature francophone promet. En ce sens que c’est de la France que nous tenons le français que nous utilisons aujourd’hui. En tant qu’auteur, en tant qu’écrivain aujourd’hui, il faut chercher la confirmation. C’est triste et désolant de le dire ainsi, mais la plupart des gens chez nous ne sont pas prêts à investir dans ce que nous appelons le métier d’écriture. Pour eux, ce n’est pas un métier. Par contre, ailleurs, dans d’autres pays comme en Europe, les gens en vivent. Cela montre à quel point ils sont en avance, à quel point les choses évoluent rapidement là-bas. Donc, en tant qu’écrivain ou auteur, il est conseillé de se former, de s’améliorer et de se professionnaliser dans ce domaine. Il faut chercher à en vivre. Il est nécessaire d’aller là où les gens peuvent vous soutenir. De plus, là-bas, les gens sont rigoureux et méticuleux dans ce sens-là. Donc, le fait de chercher ailleurs vous oblige à être plus professionnel et à vous engager davantage dans ce que vous faites.
Quel sera votre prochain rendez-vous après ce salon ?
Après ce salon, mon prochain rendez-vous sera le FILIGA (Festival International du Livre Gabonais et des Arts) dont la troisième édition se tiendra du 30 mai au 02 juin 2024 au Gabon, à Libreville. Il y aura certainement d’autres rendez-vous qui vont suivre d’ici là.
Un message pour finir ?
Croyez en vos rêves, n’abandonnez pas. Je ne suis pas ici par hasard. C’est un rêve qui a commencé depuis 2012. Et je n’ai pas lâché prise. Ne baissez pas les bras. Ça va prendre du temps, c’est sûr. Mais un jour, vous récolterez les fruits de vos efforts. Paris n’est que le début de mes rêves. Car je rêve d’exporter mon art dans d’autres pays comme les pays du Moyen-Orient, de l’Asie et de l’Amérique. Après ce salon, je suis encore ému du nombre de messages sur WhatsApp venant de certains amis. Pour eux, c’est l’accomplissement d’un souhait de longue date qu’ils attendaient de voir se réaliser. Ils partageaient ma joie, une réaction que j’apprécie beaucoup. Je le souhaite à chacun de nous. Merci beaucoup et surtout à l’Institut Français du Bénin qui a été présent du début jusqu’à la fin de ce projet. Toutes les gratitudes leur reviennent, c’est grâce à eux que tout ceci est réalité aujourd’hui. Merci encore. Merci à vous et à toute votre équipe pour le formidable travail que vous accomplissez. Merci à tous vos auditeurs.
Propos recueillis par Léandre Houan
Encadré : Professionnellement parlant, qui est Bravo ?
Maboudou Abdou Rahim, alias Bravo, est un artiste slameur et écrivain. Titulaire d’une licence en études africaines au département d’anglais de l’Université d’Abomey-Calavi, il travaille depuis 2019 sur les industries créatives et culturelles au sein de l’ONG Waxangari Labs à Parakou. Ses activités au sein de cette ONG consistent à organiser des événements culturels, englobant tout ce qui entre en ligne de compte avec la culture du Bénin, depuis la danse jusqu’aux manifestations culturelles telles que les cérémonies de flagellation peulhs, les expéditions touristiques à la Gaani dans la ville de Nikki, et les fêtes gastronomiques pour faire découvrir les plats locaux des différentes régions et contrées du pays.
Son talent d’écrivain le conduit également à animer des ateliers d’écriture poétique et de slam. De plus en plus, il intervient à l’Institut Français de Parakou pour y animer des ateliers d’écriture en poésie, notamment lors de la Francophonie en 2022 et en 2023, où son engagement a été récompensé par une bourse d’écriture de textes dramatiques. Cette bourse vise à encourager les jeunes écrivains à écrire pour le jeune public.
Bravo tire également ses revenus de ses prestations artistiques en slam. Ses performances l’ont amené sur des scènes organisées par des institutions renommées telles que l’UNICEF et la Fondation Friedrich Ebert.
En juin 2022, il a été invité à l’Institut Français de Niamey, où il a tenu un mini-concert sur son premier recueil de poèmes Le chant des vers , publié aux Éditions Savanes du Continent, devant environ 500 personnes. De là, il a été invité à présenter un spectacle de slam devant plus de cinq mille étudiants sur la grande place publique de l’Université de Niamey. En mai 2022, il a participé au Festival International du Livre Gabonais et des Arts (FILIGA) à Libreville pour présenter son recueil de poèmes, suivi d’une prestation en slam. En octobre de la même année, il était en Côte d’Ivoire, au Meeting International du Livre et des Arts Associés (MILAA), pour présenter ses deux livres : Le Chant des Vers et Dr Li, ce dernier publié aux Éditions de l’Iroko. De ces événements, Bravo est rentré au pays avec des distinctions.
De août à fin septembre 2023, il a bénéficié d’une bourse de résidence d’écriture à la Villa Karo à Grand-Popo. L’année 2024 commence de la plus belle des manières pour l’écrivain avec sa participation à ce salon du livre africain à Paris. Il considère humblement que cela rehausse le drapeau du Bénin.
Pour cet écrivain ambitieux qui rêve de faire voyager son écriture à travers le monde, il garde en mémoire une leçon de vie exemplaire. « Qu’importe le domaine où quelqu’un travaille, il ne doit pas baisser les bras, surtout dans un domaine comme la littérature qui n’est pas encore considéré à sa juste valeur » conseille Bravo. Il est convaincu que la réussite dans ce domaine est possible pour tous, même si la famille peut parfois ne pas comprendre le choix d’une profession libérale comme l’écriture. Selon sa vision, dans un pays, il faut un ensemble de travailleurs constitué aussi bien de fonctionnaires que d’artistes.
Léandre Houan