Ken Bugul, de son vrai nom Mariètou Mbaye, est une figure incontournable de la littérature sénégalaise contemporaine, sa plume singulière et son regard acéré sur les maux sociaux de son époque en font une romancière d’une grande profondeur. L’œuvre Riwan ou le chemin du sable, publiée en 1999, est un roman qui, par sa beauté narrative et la richesse de ses thématiques, a rapidement conquis le cœur des lecteurs et des critiques, lui permettant de remporter le prix Goncourt des lycéens la même année. Cette distinction, bien que symbolique, témoigne de la capacité de l’écrivaine à toucher un large public tout en abordant des questions universelles et profondément humaines.

Un voyage intérieur
Dans Riwan ou le chemin du sable, Ken Bugul nous invite à un voyage qui n’est pas seulement géographique, mais aussi intime et existentiel. Le récit suit l’errance de Riwan, un jeune homme en quête de sens, un être perdu dans les méandres de ses pensées et de ses désirs, entre la société sénégalaise traditionnelle et les promesses d’une modernité qui s’avère souvent décevante. Ce chemin du sable, qui pourrait sembler être une métaphore de la vacuité et de l’incertitude, devient paradoxalement un terrain de reconquête de soi, une exploration des limites de l’identité et de l’appartenance
Le sable, omniprésent dans le roman, est ici un symbole puissant de la fragilité, de l’éphémère et de la quête d’une vérité qui semble toujours glisser entre les doigts. L’écrivain joue habilement avec ce motif pour exprimer l’instabilité du monde intérieur de Riwan, mais aussi l’absurdité de certains aspects du monde extérieur, qui se perd dans les illusions d’un progrès trop rapide et parfois aliénant.
La dimension sociale et politique
Ken Bugul n’est pas seulement une conteuse des tourments personnels de ses personnages ; elle s’impose également comme une observatrice aiguë des dynamiques sociales et politiques du Sénégal postcolonial. À travers l’histoire de Riwan, elle critique le poids des traditions, l’influence écrasante de la famille et des coutumes, tout en mettant en lumière les tensions qui naissent entre la quête d’autonomie individuelle et les attentes collectives. Cette question de l’individualité face aux obligations sociales résonne avec une force particulière dans une société en pleine transition, où les jeunes générations sont tiraillées entre un héritage culturel lourd et les sirènes de la modernité occidentale.
Ken Bugul va plus loin, en soulignant la condition de la femme dans cette société, notamment à travers les personnages féminins qui gravitent autour de Riwan. Elle interroge le rôle des femmes dans une société patriarcale, où la liberté individuelle, la voix des femmes et leur émancipation sont constamment mises à l’épreuve.
L’écriture de Ken Bugul : une voix singulière
L’écriture de Ken Bugul est marquée par une grande économie de mots, mais chaque phrase est pensée, chaque mot posé avec une attention méticuleuse. L’auteur adopte un style qui oscille entre simplicité et profondeur, offrant au lecteur une expérience à la fois accessible et empreinte d’une poésie rare. Son regard sur la vie est empreint de mélancolie, mais aussi d’une lucidité frappante qui invite à la réflexion. Le lecteur se retrouve pris dans une spirale d’émotions contradictoires : une envie d’évasion et une prise de conscience de l’impossibilité d’échapper totalement aux contraintes du monde.
Dans Riwan ou le chemin du sable, Ken Bugul fait preuve d’une grande maîtrise du langage, tissant des liens entre le vécu de ses personnages et les enjeux plus larges de la société sénégalaise, mais aussi du monde en général. L’œuvre se déploie à la manière d’un tableau de sable, fluide et mouvant, où chaque grain semble s’échapper mais où, néanmoins, une structure profonde et indéniable se laisse entrevoir.
On peut donc conclure que :
Riwan met en scène, alter ego de l’autrice, une femme intellectuelle revenue au Sénégal après un long séjour à l’étranger. Elle décide de s’installer dans un village soufi, loin de l’agitation urbaine, pour entamer un chemin de spiritualité, de réflexion et de quête de sens.
Riwan devient la 28e épouse du marabout, un homme âgé, sage et respecté dans la communauté. Cette décision peut sembler paradoxale pour une femme moderne, mais c’est à travers cette expérience que Riwan explore les complexités du rôle de la femme, de la tradition, du désir d’émancipation, et de la quête spirituelle.
Le roman se déroule comme une initiation, dans laquelle Riwan cherche à comprendre sa place dans le monde, entre modernité et tradition, liberté personnelle et sacrifice communautaire.
Riwan ou le chemin du sable est un roman magistral qui dévoile les subtilités de l’âme humaine tout en offrant une critique acerbe et nuancée des sociétés postcoloniales. Ken Bugul nous livre ici une œuvre de grande ampleur, où la quête d’identité, la recherche de sens et les luttes sociales s’entrelacent dans une fresque poignante et intemporelle. Avec ce livre, elle s’impose non seulement comme une grande narratrice, mais aussi comme une voix essentielle dans la littérature francophone.
En remportant le prix Goncourt des lycéens en 1999, Ken Bugul a prouvé que sa littérature ne se contentait pas de résonner dans les cercles littéraires, mais qu’elle avait une portée universelle, capable de toucher les jeunes générations et de leur offrir une vision du monde aussi juste que éclatante. Riwan ou le chemin du sable est bien plus qu’un roman : c’est une invitation à réfléchir sur le parcours de chacun, à regarder les chemins incertains sur lesquels nous avançons tous, à la recherche de notre propre vérité.
Olivier CHABI, chroniqueur paranormaliste
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