Dans ce roman poignant, La saison de l’ombre de Léonora Miano, publié aux Éditions Grasset (256 pages), douze hommes disparaissent mystérieusement après un incendie, plongeant un village africain dans l’angoisse. Miano explore les origines de la traite négrière à travers un récit puissant sur la perte, la mémoire collective et la résistance.

Le roman débute alors qu’un grand incendie a ravagé le village des Mulongo, un village d’Afrique centrale. Depuis la nuit de l’incendie et la disparition de douze mâles, rien n’est plus pareil dans le camp Mulungo. Comme le veut la coutume, on a installé provisoirement « les mères dont on n’a pas revu les fils » à l’écart, dans une case commune, afin de ne pas embarrasser le clan de leur chagrin, ni contaminer les personnes avec qui elles vivent. Mais rien n’y fait, le retour à la tranquillité ne se fait pas, les questions sans réponses demeurent.
Elles ont le droit d’éprouver de la peine, pas d’embarrasser le clan avec tout ce chagrin, de contaminer les personnes qui vivent quotidiennement à leurs côtés, de faire comme si l’enfant qui n’a pas été retrouvé représentait tout (…) Elles ne sont pas des veuves. Il n’y a pas de mots pour nommer leur condition.
Ebeise, l’accoucheuse, sent que cette disparition cache un événement très grave. En effet, « pour tout Mulungo vivant de nos jours, le monde se limite aux terres de son peuple et à celle des Bwele », clan voisin avec qui ils font des échanges commerciaux. Pourtant, les Bwele semblent cacher des informations de première importance, dont l’apparition d’étranges personnages blancs « aux pieds de poule », des étrangers « venus de pongo par les eaux », porteurs de machettes qui crachent le feu.
Dès lors, Mukano, le chef du clan Mulungo, décide de se rendre en pays Bwele avec sa garde rapprochée. Il est l’incarnatio de son clan : « je suis parce que nous sommes », c’est à lui d’éclaircir la situation. Ce qu’il ne sait pas, c’est que son frère aussi, Mutango, a pris le même chemin, mais non pour les mêmes raisons, ainsi qu’Eyabe, une mère à la recherche de son fils disparu la nuit de l’incendie. De ce périple qui va mener certains jusqu’en pays Isedu, au bord de l’Océan, chacun va y trouver une réponse, parfois sa propre interprétation des événements, mais aussi et surtout, va faire le deuil de sa naïveté, notamment en découvrant le pays Bebayedi :
Un espace abritant un peuple neuf, un lieu dont le nom évoque à la fois la déchirure et le commencement. La rupture et la naissance. Ceux qui sont ici ont des ancêtres multiples, des langues différentes. Pourtant ils ne font qu’un. Ils ont fui la fureur, le fracas. Ils ont jailli du chaos.
Car c’est bien le chaos le sujet principal du roman. Le chaos provoqué par la traite négrière, le commerce des hommes, facilité par des clans voisins en échange de produits de première nécessité et de sécurité. Alors, dans la nuit, dans l’ombre des soutes des bateaux, un chant commun s’élève. C’est celui des futurs esclaves, rasés et enchaînés, enlevés de leurs clans, qui désirent quitter leurs corps de misère pour se réincarner dans le ventre de leur mère, et revenir à la vie au sein des leurs.
TITRE : La saison de l’ombre
AUTEUR : Léonora Miano
NOMBRE DE PAGES : 256
Archives : Jokebed Auriane ANIAMBOSSOU, Challenge #Je_Lis_Chaque_Jour 2024, édition spéciale FILAB