« Le cœur n’est pas un coffre.
Le corps n’est pas un four.
Ȧ force de retenir, on étouffe.
Et parfois, on craque pour de bon.
Alors pleurez. » (p.6)
Que vaut une œuvre littéraire qui semble échapper aux classifications génériques traditionnelles ? Peut-elle être considérée comme une œuvre de bon aloi ?

Avant de mettre l’accent sur ces questions, portons un regard analytique sur « Juste pour pleurer », dont le titre laconique contraste avec la profondeur de son contenu. « Juste pour pleurer », ce sont des histoires réelles, voire factuelles, qui happent la sensibilité. C’est la réalité livrée sans fioritures ni grandiloquence, au moyen d’un style sobre et incisif, à l’image de « Perles d’émotions » de Marcel-Christian Ogoundélé. Dans une certaine mesure, l’esthétique fragmentaire — marque distinctive de l’écriture de Brice Ahossa — fait écho à la violence de la souffrance qui accable les personnages des vingt-quatre (24) récits. Loin d’être un recueil de récits anodins, « Juste pour pleurer » concentre ainsi une charge pathétique particulière qui, sans féconder une esthétique de la douleur — comme dans « Les Fleurs du mal » de Charles Baudelaire — ne laisse personne indifférent.
Au cœur des différentes histoires se déploie une communauté de ressources stylistiques, dont l’isotopie de la douleur et de la vulnérabilité — peur, pression, silence, destin — et des figures de style telles que la personnification et l’allégorie, qui confèrent une dimension humaine à la souffrance, sans pour autant la dédramatiser. L’énonciation des récits, chargée de pathos, est assurée par des narrateurs homodiégétiques, avec un emploi massif du pronom personnel « je ». Ce dernier est révélateur de la singularité des souffrances vécues par chaque personnage.
Qu’il s’agisse de la jeune fille harcelée et abusée par son enseignant, des jeunes hommes séduits par l’appât du gain facile ou du garçon injustement livré à la vindicte populaire, Brice Ahossa donne à entendre les voix de ses actants et, par ricochet, les voix de ceux qui meurent avec résignation dans le silence. Plus saisissant encore, l’auteur convoque dans certains récits — trois principalement — des personnages qui existent ou ont réellement existé. Ainsi, Éloi Dogo, cet étudiant dont l’histoire résonne tragiquement avec la vindicte populaire, est explicitement évoqué. De même, grâce à un jeu de mots à peine voilé — Oscald Homètchi — la déchéance de l’ancien ministre des Sports est racontée, tout comme la mort tragique de l’ancien ministre des Enseignements secondaire, technique et de la Formation professionnelle, Yves Chabi Kouaro. En plus de ces éléments qui témoignent de l’ultra-réalisme des récits, s’ajoutent des références spatiales réelles telles que Savalou, Parakou, Glazoué, Porto-Novo, etc. Un parallélisme syntaxique s’observe également dans la construction de certains titres — Je m’appelle Jacques, Je m’appelle Josué, Je m’appelle David, Je m’appelle Jonathan — qui annoncent les récits. Ces phrases déclaratives n’ont d’autre effet que de rendre les textes plus émouvants.
Par ailleurs, ce qui frappe dans « Juste pour pleurer », c’est la binarité sémantique — ambition et désillusion — qui structure les histoires racontées et traduit l’ambivalence du destin des personnages. Entre aspirations profondes et imprévisibilités de l’existence, tout semble échapper à la volonté humaine, ce qui n’est pas sans rappeler le fatum antique.
Concernant le genre littéraire potentiel de « Juste pour pleurer », on peut considérer, à la lumière de certains éléments, que les récits sont des monologues dans lesquels chaque personnage extériorise ses craintes et déchirements existentiels. Le monologue, en tant qu’élément d’enrichissement psychologique, se manifeste aussi bien par la subjectivité centrée sur le pronom personnel « je », que par les subjectivèmes — adjectifs qualificatifs, adverbes, modalisateurs — qui mettent au jour les tensions intérieures des personnages. Par conséquent, c’est la fonction expressive ou introspective du monologue qui est exploitée dans les différents récits.
En outre, ce qui rapproche ces récits du monologue, c’est la polyphonie énonciative, enrichie aussi bien par les discours rapportés que par les modalités interrogatives. Par ailleurs, les anaphores pronominales et associatives assurent à chaque texte une progression à thème constant, ce qui renforce le marquage subjectif. Même si cette œuvre ne constitue pas un monologue pur — au sens d’un texte théâtral — il n’en demeure pas moins que certaines similitudes peuvent être établies. Aussi la disposition formelle des textes — organisée en strophes, en vers et en rythmes — emprunte-t-elle à la poésie libre certaines de ses caractéristiques.
Au regard de tous ces éléments, on peut considérer qu’une œuvre littéraire qui semble échapper aux classifications génériques classiques vaut par la richesse de son contenu. Brice Ahossa aspire à faire de la littérature un moyen de « guerre contre les discours politiques vides et contre l’hypocrisie sociale ». Ainsi, sans chercher forcément à plaire, l’auteur veut que son œuvre résonne et touche le lectorat.
Toutefois, l’écriture de Brice Ahossa dans cette œuvre rompt avec la dynamique scripturale constatée dans « Dieu est un fumeur ». Quoi qu’il en soit, chaque lecteur se forgera sa propre opinion de « Juste pour pleurer ».
Napoléon Mahugnon DOSSOU-YOVO
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