Annoncé pour être présenté à Dakar samedi 26 octobre 2024, le livre « L’idée de la Casamance autonome – Possibles et dettes morales de la situation coloniale au Sénégal » de l’historienne française Séverine Awenengo Dalberto, chercheuse au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) en France sera finalement interdit de commercialisation sur le territoire sénégalais. Le Premier Ministre Ousmane Sonko, tête de liste du Pastef aux élections législatives du 17 novembre, a pointé du doigt l’ouvrage, son autrice ainsi que la France lors d’un meeting dans la nuit du 1er au 2 novembre à Ziguinchor, capitale de la Casamance.
Publié aux éditions françaises Karthala, le livre « L’idée de la Casamance autonome – Possibles et dettes morales de la situation coloniale au Sénégal » devait être présenté à Dakar par son auteure en octobre dernier pour une séance de dédicace. L’annonce de sa publication a provoqué de vives protestations dans le pays, alimenté notamment par l’Alliance pour la République, le parti de Macky Sall.
Le Premier Ministre Ousmane Sonko pense que ce livre est un projet de déstabilisation orchestré par la France. « Je veux dire à la France : je ne sais pas qu’est-ce qu’il y a derrière cette affaire. Parce que la France avait témoigné dans la fin des années 90 avec Jacques Charpy, en clarifiant la question de l’appartenance totale et intégrante de la Casamance au Sénégal. Maintenant qu’il y a un régime – comme je l’ai toujours dit – qui n’est pas anti-français, qui est pro-sénégalais simplement, un régime qui dit : nous voulons notre souveraineté, nous n’accepterons plus d’être des valets de qui que ce soit, on nous sort un livre« , “Nous sommes un Etat unitaire du nord au sud, de l’est à l’ouest, les mêmes réalités vont s’appliquer sur chaque portion du territoire national” continue le Premier ministre sénégalais lors de son meeting dans la région ce 02 novembre.
Ce livre-là, souligne-t-il « personne n’en fera la promotion ici au Sénégal. Si cette Française veut écrire, elle n’a qu’à aller écrire sur la Corse qui demande son indépendance à la France. Elle n’a qu’à aller écrire sur la Nouvelle-Calédonie qui réclame son indépendance, mais elle n’a pas à écrire sur le Sénégal« .
Pour le président du Pastef, Si la France veut donner des archives, elle doit pouvoir donner celles relatives “aux exécutions sommaires au Sénégal pendant la colonisation, des guerres qu’elle a menées ici, des tortures qu’elle a menées, des travaux forcés. C’est ça qu’on attend de la France. Qu’elle nous donne les archives de Thiaroye 44 – massacre des tirailleurs sénégalais, dans le camp de Thiaroye, en décembre 1944 -, mais pas des archives sur une prétendue autonomie de la Casamance« .
Séparée du Nord du Sénégal par la Gambie, la Casamance souffre encore économiquement des conséquences des combats séparatistes des années 1990. Un plan national de relance a donc été annoncé par le Premier ministre et ancien maire de la capitale de la région début octobre dont l’objectif est d’encourager le retour des personnes déplacées depuis les combats des années 90.
L’ouvrage serait dangereux pour l’unité nationale et remettrait donc en question les acquis sur la paix dans la région, pour les protestataires. L’État sénégalais rejette l’autonomie de la Casamance, région Sud du pays. Il s’agit donc d’un sujet très sensible pour toute la classe politique qui cherche voix et moyens pour l’unité nationale.
Mais cette attaque à l’égard du livre, pour l’universitaire sénégalais Ibrahima Thioub, ne semble pas être justifiée. Pour ce dernier, parler d’autonomie ne devrait pas être tabou. Il soutient au micro de la rédaction Afrique RFI, “Les projets d’autonomie ont existé et alimenté des imaginaires un peu partout en Afrique. Ces projets qui ne sont pas advenus ont laissé des traces dans les mémoires et les historiens doivent y travailler ”. Il ajoute “Ce rapport que nos autorités politiques ont avec l’université, un rapport instrumental, de manipulation, de mise en discipline, ça ne sert à rien, ça ne sert pas nos pays” pour souligner la divergence profonde entre universitaire et politique.
Les éditions Karthala, éditeur du livre, qui a aussi donné de la voix, regrette “une instrumentalisation politique d’un ouvrage scientifique par des personnes qui n’ont, manifestement, pas pris connaissance de son contenu“. L’autrice a pour sa part affirmé que son travail était « strictement historique » et « ne vise aucunement à rouvrir les fractures comme certains pourraient le craindre ».