<< Le sexe n’est pas un instrument de mesure de capacité.>> C’est ce que nous apprend Sobdibé Kemaye dans son premier roman, Le sexe féminin, une fatalité ? Publié aux éditions Toumaï en 2018. Sur 97 pages, Sobdibé Kemaye dénonce la considération phallocratique de la femme africaine. La femme africaine est-elle cet être faible qui n’a pas droit à la parole ? Le sexe féminin est-il une fatalité ?
Résumé de l’œuvre Le sexe féminin, une fatalité ? de Sobdibé Kemaye
C’est l’histoire d’une famille polygame de dix enfants. Ces derniers n’étaient que des garçons. L’absence d’un enfant de sexe féminin dans la famille rendaient les garçons et épouses de Papa Pagoui malheureux.
Le désir d’avoir une sœur hantait les jeunes garçons que leur parent. Alors un jour, Imbaïra le dernier fils de la première femme a fait un rêve visionnaire. Dans ce rêve, il voyait Kadidja, la deuxième épouse, donner naissance à une belle fille. Il raconta son rêve à ses deux mères.
Sa mère ne cru un mot de ce qu’il racontait. Mais elle priait le ciel afin que ce rêve soit une réalité pour sa coépouse. C’est ainsi que Kadidja tomba enceinte. À l’accouchement, elle donna naissance à une belle petite fille. La naissance de cette fille fut une grande joie pour toute la famille ainsi que les proches.
Madeuh, est une jolie petite fille comblée d’amour. Sa naissance transforma l’atmosphère de la maison. Tout le monde la comblait de petits soins. Malheureusement cette jolie petite fille tomba malade. Une maladie qui persistait malgré les différents soins. Alors Maman Magoui la première épouse demanda la permission à son époux pour pouvoir consulter un marabout.
Comme c’était une famille laïque, son époux ne s’y opposait guère. Pachinri le féticheur fit des recommandations à Maman Magoui, chose qu’elle suivit à la lettre le même jour de la consultation. Surprise ! La petite Madeuh fut guérie et la joie revint à la maison.
La petite Madeuh est une brillante petite fille. À l’âge de quinze ans, elle fut admise en sixième. C’est le moment où son père, Papa Pagoui décida de la donner en mariage. Il craignait que son unique fille chope une grossesse et ternisse sa réputation.
Madeuh s’y opposa et demanda à son père de la laisser poursuivre ses études. Elle voulait devenir une grande femme dans la famille.
Depuis ce jour, où elle s’opposa à la décision de son père, ce dernier changea d’attitude envers elle. Il interdit à sa fille de retourner sur les bancs. C’est alors que son frère et “créateur” Imbaïra l’inscrit au C.E (Collège Évangélique).
Passionnée de livres Madeuh ne se séparait jamais des papiers ce qui lui fallut le surnom de maderewol. C’est en classe de première que Papa Pagoui crut en sa fille et promit de la laisser continuer ses études. Après sa brillante réussite au Bac l’année suivante, Madeuh se mit à réfléchir à son avenir.
Dans un pays gangrené par la corruption Madeuh bien qu’ayant rempli les conditions pour être boursière ne fut pas admise à l’université. Alors son père, et d’autres s’insurgèrent contre cette injustice et elle fut finalement reçue à l’université.
Après trois ans d’études à l’université, Madeuh fut licencié en Géographie. Elle rencontra un charmant jeune homme avec qui elle se maria. Madeuh, ne pouvant plus supporter la domination et la trahison de son époux, décida de revendiquer ses droits mais sans violence.
Elle découvrit son talent dans l’art de la broderie puis décida de participer à une exposition. Face au refus de son époux, elle s’engagea à le convaincre afin qu’il lui accorde sa permission. Réussira-t-elle à voir cette permission pour faire valoir son talent ?
Analyse et avis critique sur l’ouvrage Le sexe féminin, une fatalité ?
L’ouvrage, Le sexe féminin, une fatalité ? de Sobdibé Kemaye est une œuvre d’art réaliste et captivante. Sobdibé Kemaye nous fait toucher du doigt les réalités de la société africaine. Cette société phallocrate qui sous le couvert de la tradition réduit la femme africaine à la servitude.
L’auteure dénonce la banalisation de la femme africaine, réduite à l’unique fonction de procréatrice. Pour elle, la femme est capable de soulever les montagnes. Car elle est dotée d’une force inébranlable et invisible. Elle vient à travers ce livre déchanté tous ceux qui croient que la capacité s’évalue en fonction du sexe.
C’est ce que l’auteure nous montre à travers la petite Madeuh quand elle répond à son père à la page 36 :
<< Le sexe n’est pas un instrument de mesure de capacité.>>
Il faut dire que Sobdibé Kemaye, nous montre également la vulgarité de la place que l’on accorde à la femme dans nos sociétés. La femme, c’est toujours cet être qui doit être silencieux, cet être inoffensif sans défense que tout le monde brime. Cet être qui doit toujours être soumis, à la merci de l’homme.
En un mot cet être qui n’a pas de mot à placer. Cela s’illustre à la page 38 de l’œuvre lorsque face à la décision de Papa Pagoui Maman Kadidja déclare à sa fille :
<< Ma fille, devant ton père je ne suis rien, je ne peux aller à l’encontre de sa décision. Je ne suis qu’une simple femme avec mon pagne et mon voile.>>
Jusqu’à quand la femme doit-elle être considérée de la sorte ? La femme est-elle une enfant à la place de qui l’on doit tout décider ?
Malheureusement oui, car c’est ainsi que la société africaine a été faite. La société africaine ainsi que les traditions sont régies par des lois phallocrates. Des lois, des coutumes et tout autre instrument qui sont destinés à annihiler le pouvoir féminin. Alors la femme africaine, malheureuse face à chaque décision sent l’épée de Damoclès s’abattre sur elle. Ce qui la réduit au silence et à la soumission.
Cet état de chose est démontré à la page 39 lorsque Maman Magoui prodiguait des conseils à Madeuh :
<< …, car la proposition d’un homme est toujours là meilleure et la décision d’un père est toujours incontestable.>>
Plus loin, l’auteur nous pose dans cette œuvre le problème de la scolarisation des enfants, particulièrement des filles. Quand ce sont les garçons qui doivent aller à l’école, cela ne pose aucun problème. Mais quand ce sont les filles, c’est le drame !
Cela s’illustre à la page 42 de l’œuvre lorsque Papa Pagoui déclara à Madeuh :
<< Tu n’étudieras pas chez moi, je vais rayer ton nom de ton lycée,…>>.
Mais tôt ou tard, la femme finit par s’imposer ou c’est son travail qui s’impose et pousse tout le monde à l’accepter. Le personnage du père de Madeuh Papa Pagoui en est la preuve :
<< C’est maintenant que je comprends que tu aimes les études, ma fille! >>.
La femme qu’on opprime, qu’on brime et qu’on malmène est souvent un modèle de succès, de réussite. Elle est d’autant travailleuse que brave, leur intelligence dépasse même pour la plupart du temps celui des hommes. C’est ce que nous montre les propos de l’agent de service de la Direction des bourses.
A l’endroit de Madeuh à la page 59 de l’ouvrage il déclare :
<< Tu remplis avec brio les quatres critères, tu dois être une fille sérieuse à l’école… même les garçons remplissent difficilement ces conditions.>>
Le malheureux constat que fait l’auteure est que la corruption continue toujours de dicter sa loi dans les diverses institutions. La corruption ne cesse de gagner du terrain en Afrique et ce sous toutes ses formes. On peut lire cela à la page 61 de l’œuvre lorsque Papa Pagoui explique à Madeuh :
<< Tout ce que je te raconte, veut dire que tu dois donner de l’argent avant qu’on ne t’accorde la bourse.>>
La corruption est tellement pratiquée en Afrique qu’elle est devenue une chose normale, une chose contre laquelle on ne peut rien. On revoit ce malheureux constat auprès de Papa Pagoui. Lorsque celui-ci ne pouvant pas prendre la voie de la corruption pour valider la bourse de sa fille, il affirma :
<< ma fille, je suis pauvre, tout ce que je trouve, c’est seulement l’argent de ma pension qui tombe deux fois tous les quatres trimestres de l’année.>> p 62.
Sobdibé Kemaye nous présente dans son œuvre le phénomène de la corruption de façon flagrante. Cela afin de nous sensibiliser, nous montrer que c’est un chemin à ne pas suivre. Qu’on peut toutefois changer la donne et œuvrer pour un monde de justice.
L’auteure veut nous montrer aussi que la lutte contre la corruption doit d’abord être individuelle avant d’être collective. Elle le montre à travers les propos de Madeuh à la page 66 de l’œuvre :
<< Vous n’êtes pas obligé d’entrer dans la danse de la corruption. C’est un sale jeu. Faîtes votre part de travail honnête, faîtes briller la transparence à votre niveau.>>
Si la femme africaine est d’un bord plus élevé que son époux, l’homme se sent dominé. Raison pour laquelle, il cherche par tous les moyens à montrer sa puissance, à montrer que c’est lui qui détient les rennes. L’homme ayant un égo surdimensionné, veut toujours être en tête. Il ne rate aucune occasion pour montrer sa force.
La société africaine est taillée de telle manière qu’on ne trouve jamais du tort à l’homme. Il est présenté comme un être parfait. Sobdibé Kemaye montre cela dans son œuvre à travers les propos de l’époux de Madeuh principalement à la page 74 :
<< Moi, l’enfant de son père, je suis là photocopie avec laquelle mon père se tapa la poitrine, une femme marasakhite ne peut jamais me dominer.>>
On remarque la peur, dans ces propos, de l’époux de Madeuh. Celui-ci se voit inférieur face à sa femme. Pour se prouver à lui-même qu’il est un homme, il se contente de ridiculiser son épouse. Plus en avant, à la même page, il affirme :
<< Je veux te montrer que dorénavant c’est moi qui commande et non le contraire.>>
L’auteure nous présente de façon tacite la grande influence que peuvent avoir les regards extérieurs sur les couples africains. Les hommes par peur de se ridiculiser ou d’essuyer des humiliations devant leurs amis, se contentent de brimer leur épouse. Ils se contentent de la traiter comme une moins que rien.
On trouve une parfaite illustration de cela à la page 75 de l’œuvre dans les propos de l’époux de Madeuh :
<< Je deviens la risée de mes amis. Comment marcherai-je avec eux ? >>
L’homme ne se contente pas que de réduire la femme africaine à la servitude. Il met plutôt tout en œuvre pour détruire ses rêves. Tout ceci par peur de voir la femme plus voler plus haut. Car dans la culture africaine, une femme qui a des ailes déployées fait peur.
Cela explique pourquoi certaines femmes ne parlent pas de certains de leur projet à leur époux. Car ces derniers peuvent constituer pour la plupart un rédhibitoire pour la femme. On voit cela à la page 77 dans l’attitude de Madeuh :
<< C’est en cachette que cette dame fit de jolis tableaux d’une extrême beauté…>>
L’auteure à travers son personnage principal Madeuh, pose une question capitale qui est d’ailleurs le titre de l’œuvre : Être une femme, est-ce une fatalité ? Pourquoi la femme ne peut-elle pas voler de ses propres ailes ? Pourquoi doit-elle attendre l’approbation de son époux ? Autant de questions qui bouleversent le cœur du personnage principal : Madeuh.
Pourquoi la société accorde-t-elle plus de privilège au garçon et non à la fille ? Madeuh, l’héroïne de l’œuvre ne put s’empêcher de faire de longs monologues. Elle parvient finalement à faire un choix : celui de faire face au monde et de l’affronter.
D’affronter son mari, mais sans violence. Sobdibé Kemaye exprime à travers cette décision de son héroïne, l’éveil de la conscience des femmes noires. Elles ne doivent plus se plaindre mais plutôt se lever pour lutter pour leur émancipation.
Pour recentrer l’œuvre dans le contexte actuel, il faut dire que la femme africaine lutte de plus en plus pour son émancipation. Et cela a value les votes de plusieurs lois visant à protéger et à défendre la femme. Celles sont surtout destinées à œuvrer pour l’émancipation de la gent féminine.
Grâce aux organisations mondiales telles que L’ UNICEF…,. Sans oublier les différentes associations de promotion des droits de la femme, la femme africaine retrouve de jour en jour son piédestal. Cela peut même s’expliquer par la présence des femmes dans les parlements, les institutions de prises de décisions et autres.
En un mot, les femmes africaines s’éveillent de plus en plus et fournissent d’énormes efforts qui ne sont pas sans fruits. Les hommes également de nos jours, accompagnent et soutiennent les femmes dans leur lutte ( les féministes…)
Quelques thèmes abordés dans l’œuvre Le sexe féminin, une fatalité ? de Sobdibé Kemaye
– La déscolarisation des filles
– La corruption
– La tradition
– La phallocratie
– La jalousie
– La violence
– La laïcité
– Le pouvoir de la médecine traditionnelle etc…
Études de quelques personnages de l’œuvre du roman de Sobdibé Kemaye
– Papa Pagoui : c’est un polygame ayant deux épouses et onze enfants. Il est un homme rigide, rigoureux et autoritaire. Mais c’est également un père qui aime sa famille et veut le meilleur pour ses enfants. Dans l’œuvre, il symbolise la force, le pouvoir masculin, le phallocrate…
– Maman Magoui : Elle est la première épouse de Papa Pagoui. C’est une femme ayant le cœur sur la main. Prête à tout pour voir les tiens heureux. Dans l’œuvre elle symbolise l’épouse aimante, la mère attentive et la coépouse solidaire.
– Maman Kadidja : Elle est la deuxième épouse de Papa Pagoui, et mère de Madeuh. C’est une femme soumise et respectueuse. Dans l’œuvre, elle symbolise la << femme chance >> celle qui enfanta la joie.
– Imbaïra le visionnaire : Il est le fils de Maman Magoui. C’est lui le prophète qui vit en premier en songe, la naissance d’une fille dans la famille. Il est également le favori et le défenseur de Madeuh auprès de leur père.
– Madeuh : Elle est une fille dont l’histoire de naissance ressemble à une légende. C’est une brillante jeune fille qui a de grands projets. Elle symbolise dans l’œuvre la femme africaine résiliente, prête à tout pour arracher son émancipation et à lutter pour ses rêves. Elle est également le symbole de l’espérance et de la révolution.
– Pachinri ( le féticheur ) : C’est un homme mystique qui a réussi à arracher la petite Madeuh des mains de la maladie et à redonner le sourire à la famille. Dans l’œuvre, il symbolise la tradition, la médecine traditionnelle qui a triomphé sur celle scientifique.
– L’époux de Madeuh : C’est un homme charmant et manipulateur. Il est l’obstacle de la liberté de Madeuh. Dans l’œuvre, il symbolise la tyrannie, l’habile manipulateur…
Quelques citations ou paroles de sagesse tirées de l’œuvre Le sexe féminin, une fatalité ? de Sobdibé Kemaye
– << L’éducation de l’enfant relevait de la communauté toute entière et non seulement de sa famille biologique.>> p 14
– – << L’école d’une fille a pour destination le lit de son mari et la cuisine.>> p 35
– << Le sexe n’est pas un instrument de mesure de capacité.>> p 36
– << Car la proposition d’un homme est toujours meilleure et la décision d’un père toujours incontestable.>> p 39
– << Aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre d’années.>> p 63
Présentation de l’ouvrage le sexe féminin, une fatalité ?
L’ouvrage, Le sexe féminin, une fatalité ? de Sobdibé Kemaye est composé en premier d’une dédicace suivie d’une préface de Assem Bayo, ensuite de quatre succulents chapitre puis enfin d’une liste des publications de la maison d’édition. L’ouvrage est bien structuré et subjugué à chaque page. Il est écrit dans un style sculptural, tendre, agréable à lire et destiné à tous.
La lecture de cette œuvre permettrait à tous de revoir la position de la femme dans nos sociétés africaines. Ce livre de Sobdibé Kemaye est sculptural, réaliste et captivant. Mieux, cette œuvre est comme une lumière qui vient éclairer les sentiers non battus. Pour que tous ensemble, homme comme femme nous oeuvrons pour le rayonnement de l’unité, de l’égalité, de la tolérance et de l’amour.
Bref aperçu sur l’écrivaine tchadienne Sobdibé Kemaye
Sobdibé Kemaye est une écrivaine tchadienne née le 29 juillet 1970. Auteure du roman, Le sexe féminin une fatalité ?, et d’un essai, Le 8 mars : fête de pagne ou défilé ?. Elle reçut le meilleur prix de l’écrivaine culturelle à la première édition du FILAB ( Festival International du Livre des Arts Assimilés du Bénin).
Elle fait partie des militantes pour la défense des droits de la femme. En un mot, elle est une féministe. L’auteure est également membre de l’association des écrivains et auteurs tchadiens ( ASEAT ).
Régis Mahougnon HANTAN est écrivain, poète-slameur, musicien et Chroniqueur littéraire à L’ivre du Livre. Il est philosophe de formation à l’UAC (Université d’Abomey-Calavi).
Il faut dire que j’ai aimé l’histoire ou du moins le roman
Excellent
J’ai adoré